Journal des B.O de Cannes #3 : Vincent doit mourir, Banel & Adama, Acide, Le Livre des solutions, May December, Anatomie d'une chute

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par Benoit Basirico

- Publié le 22-05-2023




Cette sélection des musiques entendues dans les films du festival (en se focalisant sur les films vus parmi la quantité de la programmation) présente en coups de cœur (à la fois musicaux et cinématographiques) le thriller fantastique "Vincent doit mourir" de Stéphan Castang avec une bande originale signée par John Kaced, "Banel & Adama" du réalisateur malien Ramata-Toulaye Sy, accompagné par la musique de l'artiste franco-libanais Bachar Mar-Khalifé, ou encore "Acide" de Just Philippot, où la partition climatique de ROB illustre une atmosphère pesante, ou encore le film personnel "Le Livre des solutions" de Michel Gondry qui présente une musique composée par Etienne Charry intégrée au récit du film. Par ailleurs, en emploi marquant de musiques préexistantes, on peut citer les formidables "May December" de Todd Haynes et "Anatomie d'une chute" de Justine Triet. 

Coups de coeur (Film et Musique originale) :

Vincent doit mourir (Stéphan Castang ) - BO : John Kaced (Semaine de la Critique) 

John Kaced signe la musique du thriller fantastique de Stéphan Castang sur un homme, Vincent (Karim Leklou), agressé sans raisons par des gens dès que ces derniers le regardent. Dans sa fuite, il rencontre une jeune femme (Vimala Pons) avec laquelle il tente de nouer une relation malgré le danger des regards. La partition, comme le film, joue dans le registre du genre, lorgnant vers le cinéma de John Carpenter. Les notes synthétiques élaborent un jeu de positionnement à la fois en retrait et en soutien de l'action, favorisant la surprise. • Interview du compositeur et du réalisateur

Banel & Adama (Ramata-Toulaye Sy ) - BO : Bachar Mar-Khalifé (Compétition) 

Bachar Mar-Khalifé, artiste multi-instrumentiste et compositeur franco-libanais, signe la musique du premier film malien de Ramata-Toulaye Sy. Ses cordes favorisent un climat d'étrangeté et représente le monde intérieur de la jeune femme, Banel, liée à une certaine morbidité. Sa romance avec Adama, rejetée par la communauté, n'atténue aucunement ses pulsions de mort. La partition joue avec les éléments naturels d'un village éloigné au Nord du Sénégal (le sable, le vent, les oiseaux, des gouttes de pluie...). • Interview du compositeur

Acide (Just Philippot ) - BO : ROB (Hors compétition) 

ROB (Robin Coudert) signe la musique du film fantastique de Just Philippot qui avait fait appel à Vincent Cahay sur "La Nuée" ainsi qu'au duo The Penelopes sur le court-métrage "Acide" à l'origine de ce long. Des nuages de pluies acides et dévastatrices s'abattent sur la France. Une famille fracturée (Selma, 15 ans, et ses deux parents séparés) doit se soutenir pour trouver refuge. Le compositeur propose une partition climatique qui illustre par les cordes une atmosphère pesante et menaçante, puis qui évolue en direction des personnages, relatant leurs liens, avec un violoncelle, une voix sous forme de comptine, jusqu'à un final poignant avec l'apparition d'une mélodie douce à la guitare pour soutenir l'affection renouée d'un père et de sa fille, comme une lumière après le chaos. Saycet propose une musique additionnelle ("Futures") pour le générique de fin. • Interview du compositeur

Le Livre des solutions (Michel Gondry ) - BO : Etienne Charry (Quinzaine des Réalisateurs) 

Etienne Charry retrouve Michel Gondry après "Tokyo !" (2008) et "L'Ecume des jours" (2013). Le cinéaste livre son film le plus personnel, comme une profession de foi. En effet, le personnage incarné par Pierre Niney est réalisateur et s'isole avec son équipe dans un petit village des Cévennes pour mener à terme son film. Nous suivons ainsi la fabrication du projet étape par étape, mettant en avant la débrouille et la croyance aveugle en son art. La musique fait partie du processus, l'étape musicale est abordée à travers le personnage qui décide de créer lui-même une musique orchestrale sans savoir composer de partition. C'est par ses gestes de mains et de pieds qu'il transmet ses intentions aux musiciens. Au-delà de contribuer à la comédie, cela dit des choses sur Gondry, également musicien, communiquant ses intentions de cette manière à son compositeur. Etienne Charry a donc écrit cette pièce jouée (et construite) à l'image, ainsi que des notes plus synthétiques tout le long du métrage pour insuffler de la poésie, décoller du réel pour toucher à la rêverie d'un film en train de se faire. • Interview du compositeur

Conann (Bertrand Mandico ) - BO : Pierre Desprats 

Pierre Desprats retrouve Bertrand Mandico après le premier long métrage "Les Garçons sauvages" (2018) et "After Blue (Paradis Sale)" (2022) pour ce film foisonnant autour de l'image de la barbarie, traversant les époques, les géographies et les décors, allant d'un commerce de New York à une table de repas dans une maison bourgeoise (flirtant avec Buñuel). La partition alterne elle aussi les couleurs, convoquant tantôt des percussions primitives, tantôt une harpe et une flûte, ou un saxophone, comme autant de vignettes musicales. Il propose aussi 4 chansons, trois avec la rappeuse d'origine camerounaise Kelly Rose, et une écrite avec Mandico interprétée par Barbara Carlotti. • Interview du compositeur

Coups de coeur (film avec emploi de musiques préexistantes)

May December (Todd Haynes ) (En compétition) 

Todd Haynes relate la chronique d'une actrice célèbre (Natalie Portman) qui rencontre celle qu'elle va incarner à l'écran (Julianne Moore). Le jeu de miroir se prolonge dans la musique puisque le cinéaste convoque de manière répétée et obsessionnelle un célèbre thème lancinant de Michel Legrand - adapté ici par Marcelo Zarvos - issu du film de Joseph Losey "Le Messager" dont le récit, celui des amours impossibles d'une jeune fille aristocrate et de l'enfant qui lui sert de messager, fait écho à cette histoire. En effet, l'actrice du film cherche à incarner à l'écran le plus fidèlement possible les messages de celle dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale.

Anatomie d'une chute (Justine Triet) (En compétition) 

Le troisième long-métrage de Justine Triet débute dans une maison de montagne, une femme est en entretien avec une autre tandis qu'une musique assourdissante ("P.I.M.P" de Bacao Rhythm & Steel Band) provient de l'étage. Le drame judiciaire et familial à venir est déjà en germe à travers cette présence musicale inaugurale qui envahit tout l'espace sonore et incarne le pouvoir nocif d'un homme (Antoine Reinartz) hors champs qui nuit à la sérénité de sa femme (Sandra Hüller) qui doit interrompre l'entretien. Lorsque le mari est retrouvé mort au pied de leur maison, cette musique prend une dimension particulière, elle devient un élément de la dispute. Leur fils malvoyant de 11 ans (Milo Machado Graner) a lui aussi sa petite musique, plus apaisée, en jouant au piano un prélude de Chopin (réellement interprété par le jeune acteur). Lors du procès, ce sont des enregistrements sonores du défunt qui font exister dans le tribunal la crise du couple.

Conte de feu / Riddle of Fire (Weston Razooli) (Quinzaine des Cinéastes) 

Film américain de Weston Razooli où un trio d’enfants part à la recherche d'un œuf pour une aventure au bord du conte et du merveilleux (avec fée, elfes, brigands, etc). A travers des morceaux exclusivement préexistants, une flute médiévale convoque l'imagerie de la fantasy tandis que des notes douces représentent l'enfance et une dimension sentimentale qui traverse ce périple. 

Autres présences musicales

L'Amour et les forêts (Valérie Donzelli ) - BO : Gabriel Yared (Hors compétition) 

Gabriel Yared fait la rencontre de Valérie Donzelli qui avait fait appel auparavant à Philippe Jakko (Notre Dame, 2019) et Yuksek (Marguerite et Julien, 2015). Il s'agit d'un drame romantique sur une femme - Virginie Efira - sous l'emprise d'un homme possessif et dangereux - Melvil Poupaud. Le film lorgne vers le thriller, et plutôt que de jouer pleinement la romance la musique orchestrale joue par un ostinato rythmique la spirale qui enferme le jeune femme. Ce motif incarnant le mari menaçant est doublé d'un autre motif qui représente la porte de sortie. Il apparaît lorsqu'elle s'échappe retrouver son amant, et lorsqu'elle rencontre une voisine de chambre à l'hôpital qui va l'aider à prendre les bonnes décisions. L'amour apparaît musicalement par les chansons (notamment "Du bout des lèvres" de Barbara, et une brève scène à la manière d'une comédie musicale dans une voiture avec le couple).

Le Syndrôme des amours passés (Ann Sirot, Raphaël Balboni ) - BO : Julie Roué (Semaine de la Critique) 

Julie Roué fait la rencontre des belges Ann Sirot et Raphaël Balboni pour leur deuxième long-métrage après "Une vie démente" (2021, musique de Nils Frahm). Cette comédie fantasque met à l'épreuve la fidélité d'un couple par le biais d'un élément fantastique (n'arrivant pas à avoir d'enfant, Sandra et Remy - Lucie Debay & Lazare Gousseau - doivent pour s'en guérir recoucher une fois avec tou.te.s leurs ex). Chaque ébat sexuel de ce périple est l'objet d'une vignette pop, sous différentes formes, celle du clip, de l'installation ou de la danse. Ces moments chorégraphiques sont illustrés de musiques variées de la compositrice, tandis que la partition plus classique convoque le conte (avec harpe, flûtes et cordes).

Les Colons (Felipe Gálvez Haberle ) - BO : Harry Allouche (Un Certain Regard) 

Harry Allouche signe la musique de ce film historique chilien, premier film de Felipe Gálvez Haberle, avec des percussions métronomiques et des cordes dissonantes qui viennent contraster les denses paysages, flirtant avec le western, illustrant par des timbres arides une déshumanisation à l'oeuvre dans le Chili de 1901 lorsque des missionnaires chassent les populations autochtones de leurs terres. On y entend des chansons folk traditionnelles, dont "All the pretty horses" jouée à l'image, et "Hush a Bye" interprétée par Victor Jara et Quilapayún pour le générique de fin. • Interview du compositeur

Caiti Blues (Justine Harbonnier ) - BO : Caiti Lord (ACID) 

Le documentaire franco-canadien de Justine Harbonnier dresse le portrait d'une femme musicienne, Caiti Lord, exilée au Nouveau-Mexique, qui chante à la radio, dans des clubs. On la voit en flashback lors de récitals de danse, des pièces de théâtre de son école, ou des sketchs improvisés, que ce soit seule face à la caméra ou devant un public applaudissant. Lorsque le film revient à l'époque actuelle, ces brefs aperçus de l'enfance laissent un sentiment de nostalgie, comme le fruit d'une innocence perdue, mais une énergie perdure dans son jeu, décomplexée et charismatique.

par Benoit Basirico


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