Journal des B.O de Cannes #1 : Musiques d'Ouvertures (Napoleon, Jóhann Jóhannsson, Sophie Fillières...)

Cannes 2024

,Cannes 2024,@,when-the-light-breaks2024050902,ma-vie-ma-gueule2024042714,diamant‑brut2024041202,fantomes2024041614,deuxieme-acte2024040823, - Journal des B.O de Cannes #1 : Musiques d'Ouvertures (Napoleon, Jóhann Jóhannsson, Sophie Fillières...)


par Benoit Basirico

- Publié le 17-05-2024




Cette sélection des musiques entendues dans les films d'ouvertures des différentes sections du festival (en se focalisant sur les films vus parmi la quantité de la programmation) présente quelques coups de cœur (à la fois musicaux et cinématographiques). Le premier concerne un classique foisonnant de 1927 ("Napoleon" de Abel Gance) qui a fait l'ouverture de Cannes Classics, puis le lancement de la Quinzaine des Cinéastes avec le dernier film bouleversant de Sophie Fillières ("Ma vie ma gueule"), et enfin un très beau film islandais pour Un Certain Regard ("When the Light Breaks"). D'autres présences musicales ont jalonné la première journée à Cannes, notamment "Diamant brut" avec le violoncelle de Audrey Ismael (premier film de la compétition), et les pulsations electroniques de Yuksek dans "Les fantômes" (Semaine de la Critique), ces deux derniers films représentant les seules créations musicales originales d'envergure de cette selection.

Coups de Coeur (Film et utilisations musicales)

Ma vie ma gueule (Sophie Fillières ) ★★★★ - BO : Philippe Katerine (Quinzaine des Cinéastes)

Le dernier film de Sophie Fillières propose une construction resserrée autour de son héroïne (Agnès Jaoui) qui plonge dans la démence. Cette comédie noire interroge la mort (à travers l'égarement existentiel), alors que la réalisatrice savait qu'elle était malade, mais sans jamais perdre le sens du burlesque. Il y a très peu de musique, ce qui contribue à la sobriété de la mise en scène, mais le ukulélé de Philippe Katerine apporte un rayon de soleil pour un final champêtre, notamment lorsqu'il fredonne à l'écran "Lady Bichette", reprenant ainsi le nom du personnage. Mentionnons que Sophie Fillières, décédée le 31 juillet 2023 avant la post-production, a laissé des consignes à ses enfants Agathe et Adam Bonitzer qui ont contribué à la finalisation du montage.

When the Light Breaks (Rúnar Rúnarsson ) ★★★★ - un titre de Jóhann Jóhannsson (Un Certain Regard)

Le bouleversant drame islandais de Rúnar Rúnarsson dépeint une longue journée d'été en Islande au cours de laquelle une jeune étudiante en art connaît l'amour puis un deuil qu'elle doit partager avec une femme qui aimait le même homme. Le film explore la jalousie dans la perte et la question d'une douleur partagée. La relation entre les deux femmes évolue vers une forme de sororité. Devant les scènes poignantes et intimistes, le cinéaste montre un sens aigu du détail (une brosse à dents servant de fil conducteur de l'intrigue) et s'autorise des plans longs sur des lumières, celles du tunnel avant l'accident, puis celle du soleil se reflétant dans la mer. Une élévation soutenue par la présence musicale d'un titre vocal de Jóhann Jóhannsson (compositeur islandais décédé en 2018, dont le film constitue en partie un hommage), "Odi et Amo", avec une voix de contre-ténor informatisée interprétant un texte latin qui revient à plusieurs reprises comme une litanie. Ces moments poétiques de contemplation nous plongent en apesanteur, en contraste avec une vie qui poursuit son chemin, et d'une jeunesse qui continue de danser. Par moments, le cinéma de Joachim Trier vient à l'esprit.

Napoléon (Abel Gance) ★★★★ - Montage musical de Simon Cloquet-Lafollye (Cannes Classics) 

Le compositeur Simon Cloquet-Lafollye a été chargé de livrer 7h de musique pour le film muet fleuve de Abel Gance, "Napoléon", dans une version qui n’a jamais été montrée avant la présentation en ouverture de Cannes Classics en mai 2024.

 Interview de Simon Cloquet-Lafollye, 7h de musique pour le Napoléon de Abel Gance (1927)

 

Créations musicales originales

Diamant Brut (Agathe Riedinger ) ★★ - BO : Audrey Ismael (Compétition)

Audrey Ismael signe la musique du premier film d'Agathe Riedinger sur Liane (Malou Khebizi), 19 ans, obsédée par la beauté et par le besoin de devenir quelqu'un, rêvant de devenir une star de la télé-réalité. Le film, à mi-chemin entre le réel et l'onirisme, est collé à la perception de cette jeune femme, restituant de façon naturaliste son monde environnant, fait de silences glaciaux liés à l’ennui, du bruit du front de mer, et de musiques émanant des bars et clubs (titres rythmés, autotunés, lascifs, allant du rap au reggaeton, du hip-hop à la variété). À l'opposé, un violoncelle solo (interprété par Guillaume Latil) représente sa voix intérieure, un instrument joué tout aussi bien dans la rugosité que dans la douceur, ancré dans la terre et s'élevant vers le ciel, jusqu'à atteindre une dimension spirituelle (elle a la foi, et est représentée comme une élue promise à un destin unique, on lui vend un rêve). Témoignant d'une force sauvage autant que d'une fragilité, l'instrument épouse ses vibrations. La cinéaste affirme : "On voulait que cette musique émerge de l'image, qu'elle soit au-dessus d'elle. Qu'elle nous prenne en otage comme un puissant cri." Par ailleurs on entend le personnage chanter en italien "Passacaglia Della Vita" de Stefano Landi. • Lire notre entretien de la compositrice.

Les Fantômes (Jonathan Millet ) ★★ - BO : Yuksek (Semaine de la Critique)

Yuksek signe la musique du premier long-métrage de Jonathan Millet, qui faisait auparavant appel à Wissam Hojeij pour ses courts métrages. Le film narre le périple de Hamid, membre d'une organisation secrète traquant les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Sa quête, qui le conduit à Strasbourg, se concentre sur son visage, ses errances, marquées par une solitude profonde, sans variation de ton ni de relief. De la même façon, la musique électronique adopte cette constante uniformité, flottant de manière à évoquer le titre du film, contribuant à une sorte de léthargie, refusant d'insuffler la moindre tension ou dynamique émotionnelle, sans parvenir à clarifier les enjeux flous du récit. Ces pulsations surgissent en breves virgules, confirmant l'aspect froid et désincarné du film.

Présence musicale prééexistante

Le Deuxième acte (Quentin Dupieux ) ★★ - BO : un titre préexistant de Piero Piccioni (Ouverture de l'Officiel)

Pour sa nouvelle comédie, Quentin Dupieux continue d’explorer sa veine fantaisiste sur les thèmes de la représentation, du masque et de la mise en abyme, à travers trois comédiens (Léa Seydoux, Louis Garrel, Vincent Lindon) en plein tournage, où le faux se mêle au vrai. Tout comme dans "Daaaaaali !" sorti quelques mois auparavant, il intègre de manière répétitive un même titre musical, agissant comme un leitmotiv obsédant, ici symbolisant une immersion dans la fiction, car cette musique se déclenche tel un stéréotype dès que les acteurs entament leur scène romantique. Après avoir collaboré avec Thomas Bangalter pour une composition originale sur le film précédent, il opte cette fois pour un titre préexistant de Piero Piccioni, issu du film italien "Adua et ses compagnes" réalisé par Antonio Pietrangeli en 1960.

par Benoit Basirico


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