Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)

Cannes 2024 (Compétition)

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Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 26-05-2024




Audrey Ismael signe la musique du premier film d'Agathe Riedinger, “Diamant brut” (présenté en Compétition - Cannes 2024, au cinéma le 9 octobre 2024) sur Liane (Malou Khebizi), 19 ans, obsédée par la beauté et par le besoin de devenir quelqu'un, rêvant de devenir une star de la télé-réalité. Le film, à mi-chemin entre le réel et l'onirisme, est collé à la perception de cette jeune femme. Un violoncelle solo (interprété par Guillaume Latil) représente sa voix intérieure, dans la rugosité autant que dans la douceur.

Cinezik : "Diamant brut" figurait en compétition à Cannes, alors que vous présentiez un autre film, "Le Royaume", à Un Certain Regard (lire notre entretien de la compositrice sur cet autre film)...

Audrey Ismaël : Oui, c'est une année très particulière de présenter deux films à Cannes, "Le Royaume" et "Diamant brut", dans des directions opposées.

Il y a malgré tout du violoncelle dans les deux films. "Diamant brut" relate le parcours de Liane, 19 ans, obsédée par la beauté et par le besoin de devenir une star de la télé-réalité. Le violoncelle joue la perception du personnage dans une dimension onirique, à la fois lié à quelque chose de très ancré dans la Terre, très rationnel, et en même temps, qui dessine quelque chose de spirituel, comme l'avènement d'un miracle...

Audrey Ismaël : Pour le film d'Agathe Riedinger, fallait mettre en musique, évidemment, le personnage principal. Liane est cette jeune fille obsédée par la beauté, qui a un potentiel, comme une transfuge, de sortir d'une précarité immense. Elle est obsédée par les jeux de téléréalité. Avec Agathe, nous avons beaucoup discuté et réfléchi à comment conceptualiser la musique. La mise en scène est également extrêmement maîtrisée et soignée. Nous voulions trouver une signature musicale, et à un moment, l'idée du violoncelle nous est venue. Petit à petit, à force d'échanges, nous avons pensé qu'il serait intéressant de tout faire rentrer dans une voix de violoncelle. Pour moi, Liane est enfermée dans son corps de 19 ans, elle a déjà les seins refaits, elle a déjà fait de la chirurgie esthétique. C'est un corps qui est à la fois son plus beau cadeau et en même temps quelque chose qui l'enferme. Nous avons pensé qu'enfermer la musique dans un violoncelle pouvait être intéressant. J'ai travaillé sur "Diamant brut" avec Guillaume Latil, un merveilleux violoncelliste qui signe également les arrangements de la bande originale. L'idée était parfois d'écrire plusieurs voix de violoncelle et de travailler avec lui à l'image pour dire "OK, comment compile-t-on cela et comment en fait-on une voix ?". Nous voulions de la rugosité, des violoncelles staccato qui frappent sur les notes graves et nous voulions à d'autres moments des violoncelles jouant dans les harmoniques, avec les notes les plus aiguës du violoncelle, dans une fragilité. Pour moi, c'était tout Liane. Il y a même des moments où nous avons frappé sur le violoncelle, des "boom", pour que tout sorte de ce corps de violoncelle et que cette bande originale soit le rugissement de Liane.

Quelle a été la reflexion sur le placement de la musique et le lien avec les sons du film ? 

Audrey Ismaël : Il n'y a pas énormément de musique, je crois qu'il y a une vingtaine de minutes de musique sur "Diamant brut". Et il y a tout le temps du bruit dans le film. Elle est au téléphone, elle regarde une story sur TikTok, puis il y a le bruit de la télé, le vrombissement du réfrigérateur, elle est dans la rue... Il y a aussi beaucoup de moments de silence, par exemple quand on la voit dans sa chambre. Lors du mixage de la musique, à un moment donné, la réalisatrice m'a dit "Là, on peut monter la musique, +15 dB." Elle voulait que, quand la musique arrive, ce soit comme une bourrasque. Il y a ce premier morceau qui arrive au moment où elle est en boîte de nuit, quand elle a une révélation : elle voit les gogo-danseuses en train de danser, elle est complètement fascinée par leur beauté et l'aura que leur confère cette beauté. Et donc, paf, premier choc. Et effectivement, ce violoncelle retentit pour la première fois à ce moment-là. Pour la spiritualité, c'est très juste. Elle se sent appelée, elle pense qu'il y a une sorte d'appel du beau. Nous voulions, avec la musique, amener cette dimension spirituelle et presque religieuse, liée à cette vocation de la beauté et de l'esthétisme, à laquelle Liane se sent appelée.

Elle est dans son rêve, est-ce que l'idée était de ne pas la juger, de prendre pleinement part à son rêve, ou parfois faire prendre conscience malgré tout que c'est sa perte ?

Audrey Ismaël : Quand on lui dit qu'elle est l'élue, que le monde a besoin de sa beauté, l'idée n'était pas du tout de la juger, mais d'accompagner cette quête. Comment juger quelqu'un qui veut s'extraire d'un milieu assez sordide ? Je trouve que la relation avec la petite sœur est très jolie. Nous étions là pour l'accompagner, de la même manière que j'accompagnais le romantisme de Vanessa au début du film "Le Consentement". C'est intéressant d'accompagner les émotions. Je serais bien incapable de les juger, j'essaie de les accompagner au mieux, mais je trouve que le parcours de Liane est intéressant dans ce sens-là. On l'aime profondément. Je ne pourrais pas accompagner des héroïnes que je n'aime pas. Ce type de parcours initiatique de jeunes femmes, on le retrouve dans "La Voie Royale". Cela a été beaucoup mon cas, bizarrement, ces dernières années, d'accompagner des jeunes femmes dans leur transformation, leur cheminement et leur parcours initiatique. Et c'est toujours très émouvant, cela me plaît beaucoup.

Par rapport à la place de la musique dans l'image, la cinéaste affirme : "on voulait que cette musique émerge de l'image, qu'elle soit au-dessus d'elle, qu'elle nous prenne en otage comme un puissant cri"...

Audrey Ismaël : Eh bien, c'est exactement ce que nous avons voulu faire, effectivement. Il y a quelque chose de l'ordre du "pas le choix". La musique, quand on l'entend entrer, elle fait table rase. C'est une tornade qui balaie le reste, de la même manière que nous imaginions ces moments où elle était percutée verticalement par quelque chose. Nous voulions l'accompagner avec cette musique-là.

Il y a des moments où la musique s'absente complètement, notamment lorsqu'elle est avec sa famille, pendant les moments de conflit avec sa mère...

Audrey Ismaël : Nous ne voulions pas du tout accompagner l'action ou les dialogues. Nous souhaitions plutôt accompagner la transcendance que Liane peut ressentir dans certains moments clés du film, tous ces moments où elle vit quelque chose de spirituel, de l'ordre de la spiritualité. Elle prie. Nous trouvions que cette dimension religieuse était un axe intéressant pour accompagner le personnage dans sa foi. Nous voulions aussi montrer sa douceur. Et elle passe beaucoup de temps à marcher. Il y a également cette contrainte physique. C'est pourquoi le violoncelle, avec à la fois cette rugosité et cette douceur, nous semblait être l'instrument idéal pour l'accompagner.

• Notre entretien de la compositrice sur "Le Royaume" de Julien Colonna (Un Certain Regard)

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico


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