par Benoit Basirico
- Publié le 27-06-2025Lalo Schifrin, le compositeur argentin dont l'œuvre a marqué l'histoire de la musique de film, s'est éteint le 26 juin 2025, à l'âge de 93 ans, des suites d'une pneumonie. Lauréat d'un Oscar d'honneur en 2018, il laisse derrière lui un héritage musical immense et diversifié, allant du jazz au baroque, en passant par le jazz-rock et la musique avant-gardiste. L'empreinte de Lalo Schifrin sur le cinéma et la télévision est indélébile. Pianiste, arrangeur et chef d'orchestre de renom, il est l'auteur de plus d'une centaine de bandes originales qui transcendent les genres. Sa capacité à métisser les styles, à faire monter l'adrénaline à travers ses compositions mettant en avant les percussions ont fait de lui le maitre du suspens musical.
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Né Boris Claudio Schifrin le 21 juin 1932 à Buenos Aires, Lalo Schifrin développe très tôt un don pour la musique, influencé par son père, violoniste au Teatro Colón. Il étudie la composition avec Juan Carlos Paz en Argentine, puis intègre le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Il y suit les cours d'harmonie de Charles Koechlin et l'analyse avec Olivier Messiaen. Parallèlement à sa formation classique, il se passionne pour le jazz et se produit dans les clubs parisiens des années 50. Cette dualité entre rigueur classique et spontanéité jazzistique forge sa signature unique. "Pour moi, l'éclectisme est important", nous confiait-t-il (lire notre entretien du compositeur). "Mais le jazz n'est pas de la musique 'pop'. C'était une musique angulaire, un peu l'équivalent de Bartók ou de Stravinsky dans la musique classique."
Sa carrière prend un tournant décisif lorsqu'il est engagé comme pianiste et arrangeur dans l'orchestre de Dizzy Gillespie. Sa rencontre avec le cinéaste français René Clément le mène à composer pour "Les Félins" (1964), marquant son entrée dans l'univers du cinéma. "J'ai eu de la chance, car les réalisateurs étaient lassés de la manière traditionnelle de composer la musique de film. Ils n'aimaient plus les classiques hollywoodiens et voulaient un son nouveau. J'ai commencé à devenir populaire auprès d'eux ; c'est le secret de ma carrière", nous expliquait-t-il. Aux États-Unis, sa collaboration avec Norman Jewison pour "The Cincinnati Kid" (1965) le confirme. Mais c'est avec le thème emblématique de la série télévisée "Mission: Impossible" (à partir de 1966) qu'il atteint une renommée mondiale. Ce générique, en 5/4, est instantanément reconnaissable et devient synonyme de suspense et d'ingéniosité. "Le créateur de la série 'Mission: Impossible', Bruce Geller, m'a demandé d'écrire un thème qui soit mémorable, excitant, pour que, lorsque les gens sont dans la cuisine en train de boire un Coca-Cola et qu'ils entendent la télévision du salon, ils accourent tout de suite pour voir 'Mission: Impossible'", se souvenait Schifrin. Il compose également les thèmes mémorables de "Mannix" et "Starsky & Hutch", ancrant sa musique dans l'imaginaire collectif.
Les années 1960 et 1970 représentent l'apogée de sa carrière cinématographique. Il compose pour des films cultes tels que "Cool Hand Luke" (1967), "The Fox" (1967), et "Bullitt" (1968), dont la musique jazz-funk accompagne la célèbre course-poursuite. "Le réalisateur de 'Bullitt', Peter Yates, n'était pas à Hollywood quand j'ai fait la musique. Il voulait de la musique tout le temps. Mais je ne voulais pas mettre de musique pendant la poursuite, en même temps que le son des voitures. Les sons allaient noyer la musique", précisait le compositeur. Sa collaboration avec Don Siegel sur "The Beguiled" (1971), "Dirty Harry" (1971) et "Magnum Force" (1973) donne naissance à des partitions emblématiques, empruntant autant au funk et aux techniques atonales. Lalo Schifrin explore également des horizons plus expérimentaux avec "THX 1138" (1971) de George Lucas, où il utilise des chœurs et des instruments inhabituels. "Je n'expérimente pas, je n'aime pas ce terme. Une fois, on a demandé à Picasso : 'Qu'est-ce que vous cherchez ?', et il a répondu : 'Je ne cherche rien, je trouve'", nous disait Schifrin, avec un certain sens de l'humour qui le caractérisait, à propos de son processus. Sa capacité à se réinventer se manifeste dans "Enter the Dragon" (1973) avec Bruce Lee, où il intègre des éléments orientaux et des percussions électroniques. "C'était ma suggestion d'écrire cette musique à partir de samples de la voix de Bruce Lee. J'ai fait du sampling avant que le hip-hop ne le fasse", nous révèlait-t-il. Plus tard, il renoue avec les films d'arts martiaux pour la saga "Rush Hour" (1998).
Il est nommé six fois aux Oscars pour ses compositions sans gagner le trophée, mais reçoit un Oscar d'honneur en 2018, remis par Clint Eastwood, reconnaissant son style unique et son intégrité. L'héritage de Lalo Schifrin dépasse le cinéma. Ses goûts éclectiques et son approche visionnaire de la musique ont influencé de nombreux artistes. Ses mélodies ont été samplées par des figures du hip-hop et de l'électro, comme Portishead, témoignant de la modernité intemporelle de son œuvre. "En musique, les choix sont infinis. Les possibilités de combinaisons sonores avec les instruments acoustiques d'un orchestre symphonique, d'un groupe de jazz ou d'un ensemble de chambre ne sont pas encore épuisées", écrit-il dans son autobiographie "Mission impossible : Ma vie en musique" (2008).
En tant que chef d'orchestre, il a dirigé des orchestres prestigieux à travers le monde, notamment l'Orchestre symphonique de Londres. Il a également composé des œuvres de concert, dont le "Concerto pour Contrebasse et Orchestre" et la "Suite Gillespiana". Sa dernière œuvre, "The Symphony of the Future", dédiée à son Argentine natale, a fait sa première à Buenos Aires en avril 2025.
Lalo Schifrin, avec ses 4 Grammy Awards et son vaste répertoire, reste une figure inspirante pour les compositeurs des nouvelles générations. "Le plus important, c'est la musique elle-même : les harmonies, les mélodies, les intervalles entre les sons, c'est là le secret des émotions", affirmait Lalo Schifrin. "Et quand la musique fonctionne bien dans le film, c'est encore mieux."
par Benoit Basirico
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