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Universal
(Ecoutez le cinéma)

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Le Label Universal publie notamment la Collection "Ecoutez le cinéma".


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Collection Ecoutez le cinéma : 

Interview Stéphane Lerouge (directeur de la collection)

Le responsable de la collection Stéphane Lerouge nous dresse un historique, évoque l'émergence d'une passion, la naissance d'une collection, la rencontre avec les compositeurs, et annonce quelques projets, digitaux ou en coffret. 

Cinezik : D'où vient votre intérêt pour la musique de film ?

Stéphane Lerouge : Comme des tas d’enfants des années 70-80, j’ai d’abord appréhendé le monde extérieur par la télévision et le cinéma, avant de le découvrir par la littérature. Certains génériques de télévision, en particulier, me captivaient. Je les enregistrais en collant un magnéto à cassette contre le haut-parleur du poste de télévision Radiola, histoire de prolonger le plaisir de l'écoute après la diffusion du film ou de la série en question. Ca allait de Jacques Loussier (Vidocq) à Georges Delerue, John Barry, Laurie Johnson ou encore Laurence Rosenthal (Logan’s run). L’étape suivante, ça a été évidemment de trouver les disques correspondants. C’était très acrobatique dans les années 80 d'arriver à dénicher des vinyles de partitions françaises, américaines ou italiennes des années 60. Les références avaient été supprimées des catalogues depuis parfois deux décennies… Comment trouver les premières B.O de John Williams ou de Michel Legrand des années 60... en 1987-1988 ? A force de faire pour d’autres passionnés des copies cassette de certains vinyles, je me suis dit qu’il devait exister une demande à une échelle plus large. En fait, l’exploitation des films à la télévision et en vidéo créait une demande sur leurs bandes originales. Demande qui ne pouvait pas être satisfaite, puisque les disques n’était plus disponibles… On était encore au début d’un nouveau format, le CD : il y avait donc un pari à relever. 

De quand datent vos premières rencontres avec les compositeurs dont vous alliez ensuite éditer les partitions ?

S.L : J’ai commencé à rencontrer des compositeurs, notamment Vladimir Cosma, quand je travaillais chez Gaumont comme stagiaire à dix-neuf ans. Je lui ai dit qu’il était dommage que certaines partitions (notamment ses premiers Yves Robert, Alexandre le bienheureux ou Clérambard) n’existent plus en disque. Or, à l’époque, il venait juste d’en récupérer les droits et m'a invité à participer à leur réédition, notamment en écrivant les notes de livret. Ca a été l’un de mes premiers travaux.... Et puis j’ai rencontré Claude Bolling, au hasard d’un concert, et de la même manière, on a commencé à collaborer en élaborant un CD des Brigades du Tigre, série mythique sur laquelle, étrangement, n’avait été publié qu’un simple 45 tours, en 1974. Puis progressivement, j’ai fait la connaissance de Jean-Claude Petit, Paul Misraki, Michel Legrand, Maurice Jarre, Francis Lai, Pierre Jansen, Eric Demarsan, Gabriel Yared, Bruno Coulais... et même le tout jeune Alexandre Desplat, en 1994, à l’occasion d’un hommage à Georges Delerue au Puy-du-Fou. Il avait trente-trois ans, il venait d’écrire la partition de Regarde les hommes tomber. De la même façon, j’ai rencontré Philippe Rombi en 1993, chez Antoine Duhamel, dont il avait été l’élève. J’étais à des années-lumière de me douter que j’avais devant moi le futur compositeur de Potiche !

Quel était le premier label avec lequel vous aviez travaillé avant Universal ?

S.L : Avant Universal, il y a eu Playtime, l’un des labels de la société FGL. J’ai rencontré le responsable de FGL qui s’appelait (et qui s’appelle toujours) Thierry Wolf. Il venait juste de publier une anthologie consacrée aux musiques de film de Jean-Pierre Mocky. C’était fin 1991. On a commencé à mettre sur pied des projets de rééditions, notamment Les Brigades du Tigre, dont je vous parlais à l’instant, Peau d’âne (ma première collaboration avec Michel Legrand), une collection baptisée Les Télé-tubes sur les génériques et indicatifs de télévision, des anthologies René Cloërec (Le Diable au corps, En cas de Malheur) et Jacques Loussier. Dans cette dernière figurait pour la première fois en CD la fameuse partition du film de Jack Cardiff Le Dernier train du Katanga (Dark of the sun en vo), qui a marqué Tarantino au point qu’il la réutilise dans Inglourious Basterds. Bref, Playtime a été l’occasion d’effectuer un premier travail de défrichage, de nouer des contacts aussi. Par exemple, nous avons publié en CD Le Roi et l’oiseau de Wojciech Kilar : en fait, j’avais rencontré Wojciech en faisant le montage disque (et les textes de livret) de Fantôme avec chauffeur, l’avant dernier film de Gérard Oury. A vingt-cinq ans, j'étais ému de collaborer avec le compositeur des classiques de Wajda, de Zanussi, du Dracula de Coppola évidemment, de La Jeune fille et la mort. Quand j’ai demandé à Wojciech pourquoi la musique du Roi et l’oiseau n’existait pas en CD, il m’a dit : “Il y a un blocage, je ne sais pas où. Tu devrais contacter Paulette Grimault, la femme de Paul…” En rencontrant Paulette Grimault, avec la bénédiction de Kilar, tout s’est débloqué : elle a donné son accord, nous avons retrouvé les bandes masters originales et cette partition mythique a enfin bénéficié d’une sortie CD. Il y a vraiment des éditions Playtime dont je suis toujours fier, comme les deux versions successives du Maurice Jarre période française, le Morricone-Verneuil ou encore l’anthologie Alexandre Desplat-Jacques Audiard. Parfois, avec le recul, le graphisme des premiers albums paraît rudimentaire, sinon maladroit. Malgré tout, j’ai de l’attachement pour ces disques : c’était le début de l’aventure. Ils renvoient à une époque où tout était encore à faire. 

Quel est votre statut ?

S.L : Je suis indépendant, ce qui m’a permis d’effectuer par ailleurs la programmation musicale du Festival Musique et Cinéma d’Auxerre ou d’animer les Leçons de Musique du Festival de Cannes (avec Schifrin, Doyle, puis les binômes Desplat-Audiard et Howard Shore-David Cronenberg). Pour Universal, je suis comme "chargé de mission" sur la conception et production d’Ecoutez le cinema !.

En travaillant sur la collection d'Universal, vous pouvez donc aussi, en indépendant, participer à d’autres collections par ailleurs, ou y a-t-il une exclusivité ?

S.L : Non, il n’y a pas d’exclusivité. J’en fais moins ailleurs, tout simplement parce qu’il n’y a plus beaucoup de labels intéressés par la musique de film. Et, quelque part, Ecoutez le cinema ! est devenu une priorité. En même temps, Playtime est actuellement vigoureusement réactivé par le début d’exploitation du catalogue de Francis Lai, qui ouvre la porte à pas mal de projets, en physique et digital. 

Justement, comment est née la collection Ecoutez le cinema ! ?

S.L : A l’occasion d’un enregistrement de Michel Legrand, en 1996, j’avais eu la chance de rencontrer Daniel Richard, alors grand Manitou du jazz chez Universal. Daniel est un personnage haut en couleur, très intense, d’une culture encyclopédique. On a sympathisé, on s’est promis de travailler ensemble. Avant même que la collection ne démarre, il y a eu des éditions sporadiques de bandes originales comme La Bûche de Michel Legrand, Kennedy et moi du jeune et prometteur Pierre Adenot. La fusion Polygram / Universal a eu lieu en 2000. Daniel m’a alors demandé de réfléchir à une amorce de collection construite sur le catalogue MCA Caravelle, qui regroupait des masters inexploités d’Eric Demarsan, Philippe Sarde, Michel Magne ou même le fameux Papillon de Jerry Goldsmith. Il était légitime de réactiver ce fond, totalement endormi, et devenu brusquement propriété d’Universal Music… Les compositeurs ne demandaient pas mieux… C’est ainsi que tout a commencé. Au catalogue MCA Caravelle s’est ajouté celui de l’éditeur suisse Bertrand Liechti (Sido Music), propriétaire notamment des bandes originales de la Nouvelle Vague. Le point de départ, c’était d’abord de sortir les enregistrements Universal et Sido Music. Mais, après un premier Sarde-Lautner (Flic ou voyou / Le Guignolo), Sarde m’a dit : “Pourquoi ne pas sortir la version intégrale de Mort d’un pourri, film de ma rencontre avec Stan Getz ?” Même si l’enregistrement appartenait à Warner Chappell, c’était absolument logique de l’intégrer dans la collection, dans la continuité du travail entamé sur Sarde. Peu à peu, nous avons donc enrichi la collection de bandes originales inattendues, voire de compositeurs auxquels, au départ, on ne pensait pas avoir accès (Lalo Schifrin, Nino Rota, John Barry…). Puis Daniel Richard est parti en 2009. Le département jazz a alors fusionné avec le classique, pour devenir une seule et même identité, Universal Classics & Jazz France, dirigée par Yann Ollivier, désormais père adoptif enthousiaste et bienveillant d’Ecoutez le cinema !. 

Quels sont tous vos interlocuteurs pour ce travail ? Il y a évidemment les compositeurs, les éditeurs, les producteurs de films…

S.L : Ce sont les compositeurs eux-mêmes ou leurs ayant-droit (soit leur veuve, soit leurs enfants), ce sont aussi les cinéastes, les producteurs des enregistrements, le service juridique d’Universal qui doit obtenir toutes les autorisations nécessaires… C’est un énorme travail, parfois même un parcours du combattant, qui démarre avec la localisation des bandes et se termine par la mise en bacs des albums. Je n’oublie pas l’étape du graphisme : certains compositeurs s’y impliquent énormément, viennent au studio de graphisme pour voir le livret, sa mise en page, l’agencement du texte et des photos. D’autres font confiance et nous laissent concevoir les choses. Pour l’album de Michel Legrand qui vient de sortir, Suites cinématographiques, on manquait de photos inédites de Michel : je lui ai demandé de passer au studio afin qu’un photographe lui tire le portrait. Il est venu, on a fait les photos et ensuite, en temps réel, on les a intégrées dans le livret. Michel était vraiment fasciné : il a vu les choses prendre forme instantanément, sous ses yeux. Entre son arrivée et son départ, il s’est à peine écoulé quarante minutes ! Dans l’intervalle, le visuel et le livret avaient trouvé leur aspect définitif. 

Concernant le choix des compositeurs de la collection, on voit les mêmes revenir d'une fournée à l'autre, est-ce par un souci de fidélité, par amitié, par envie d’épuiser toutes les B.O des compositeurs avant de passer à d’autres ? 

S.L : Je te renvoie la question : parmi les compositeurs français importants, de la dimension de Jarre, Legrand, Delerue ou de Roubaix, qui verrais-tu comme grand absent de la collection ?

Il y a des compositeurs très présents dans les films mais dont on ne se souvient pas des noms (Jean Musy par exemple, pour Brisseau, Alain Jomy chez Claude Miller...), peut être parce que justement Universal ne les a pas édités...

S.L : Je ne pense pas que ce soit Ecoutez le cinema ! qui fasse exister un compositeur : c’est d’abord son propre travail, l’originalité de son écriture, ses rencontres, les films sur lesquels il est engagé, la chance ou non de susciter la curiosité des cinéastes… Cela dit, l’idée de départ d’Ecoutez le cinéma ! était la suivante : établir une collection disons patrimoniale, qui serait complétée par des nouveautés de compositeurs plus contemporains. Je citais tout à l’heure Kennedy et moi de Pierre Adenot, mais Universal a également publié Amazone d’Alexandre Desplat, La Veuve de Saint-Pierre de Pascal Estève, sans parler des deux Nicloux-Demarsan, Une affaire privée et Cette femme-là. Malheureusement, ce postulat n’a pas résisté à la réalité économique, en l’occurrence à l’évolution du marché du disque. Pour injecter du “présent” dans la collection, on s’est rattrapé via les relectures et remix, en confiant du Delerue, Magne ou de Roubaix à Alexandre Desplat, Nicolas Errèra ou Fred Pallem. N’empêche : il est beaucoup plus simple d’éditer une bande originale patrimoniale. On sait quelle est l’importance du compositeur dans l’histoire de la musique au cinéma, la trace qu’ont laissé le film et sa partition dans la mémoire collective. C'était le cas, par exemple, pour Les Félins de Lalo Schifrin ou Plein soleil de Nino Rota. Deux immenses compositeurs, deux partitions inédites en disque. Le niveau de l’attente était élevé… Paradoxalement, c’est moins risqué que de publier la bande originale d’une nouvelle production… Par exemple, les ventes de l’album du Petit Nicolas ont été eau tiède. Et pourtant, c’est un film qui a fait cinq millions d’entrées en France : un énorme succès populaire, avec à l’arrivée un disque qui s’est vendu dans des proportions dérisoires, en comparaison du nombre d’entrées. Ce qui rend la situation beaucoup plus difficile sur les nouvelles bandes originales et je suis le premier à en souffrir. Notamment quand je vois certains compositeurs actuels talentueux qui ont de grandes difficultés à faire sortir leurs musiques en disque, simplement parce qu’il y a de moins en moins de labels intéressés. Ce n'est pas lié à la qualité de leur musique, c’est lié à l’époque. Si ces compositeurs-là étaient arrivés dix ans plus tôt, leurs bandes originales auraient été publiées avec plus de facilité. Même une partition comme Lucky Luke de Bruno Coulais n’a pas fait l’objet d’une sortie physique… Cette situation renvoie à une vraie problématique, à laquelle personne n’a encore trouvé de solution définitive, celle de la mutation des supports

Comment cela se passe t-il lorsque le compositeur est décédé ?

S.L : A la place du compositeur, tu as simplement en face de toi ses représentants. Dans le cas de la collection, c’est notamment Patricia et Benjamin de Roubaix, Colette Delerue, Marie-Claude Magne… Colette Delerue est une ancienne monteuse et s’implique énormément dans la confection des CDs, notamment dans la restauration sonore et la construction, ce que l’on appelle le sequencing : c’est finalement une étape qui se rapproche du montage. Notre grand oeuvre demeure évidemment le coffret Delerue 6 CDs publié fin 2008, dont l’élaboration aura nécessité presque deux ans. Il faut de l’opiniâtreté quand on entre dans le système des autorisations, surtout avec des sociétés américaines. On sait quand la demande est lancée, on ignore en revanche quand l’autorisation sera accordée. Par ailleurs, pour Colette et moi, ce coffret est associé à une frustration absolue : Delerue considérait que sa fameuse musique rejetée pour Something Wicked this way comes, produit par Disney en 1983, était sa partition nord-américaine dans laquelle il avait mis le plus d’ambition et d’exigence. Au bout de six mois de bras de fer avec Disney, nous sommes parvenus à obtenir leur accord pour intégrer une suite de dix minutes, qui clôt le quatrième CD. Mais curieusement, à la sortie du coffret, cela n’a eu aucun effet, personne n’a relevé la première édition en version originale de cette partition mythique. Silence radio sur les forums, européens ou américains… Pourtant, j’avais lu des tas de topics sur le thème : "Quand pourra t-on enfin écouter la musique de Georges Delerue pour La Foire des ténèbres ?" Tant que c’est inaccessible, ça fait fantasmer ; une fois que c’est accessible, tout le monde s’en moque. Ce n’est pas très grave en soi, c’est simplement frustrant au regard de l’énergie déployée pour arriver à ses fins. 

Y a-t-il eu des regrets dans votre parcours ?

S.L : Ah, oui. Il y a des regrets, il y a des choses auxquelles tu rêves et à côté desquelles tu passes, des déceptions. Je regrette de n’avoir pas rencontré François de Roubaix… et de n’avoir pas eu le temps de mieux connaître Georges Delerue. Sur un autre plan, je ne suis pas parvenu à convaincre Martial Solal de réenregistrer à l’identique la musique de Léon Morin, prêtre, qu’il trouvait trop datée, pleine de maladresses dans l’orchestration. Nous avions pourtant réuni le financement… Il y a aussi deux ou trois pochettes que je trouve moins abouties, certains textes ou entretiens qui, avec le recul, me semblent améliorables… Il demeure également quelques Graals que j’ai échoué à localiser : par exemple, la partition inédite composée par John Lewis pour Le Deuxième souffle, violemment rejetée par Melville. Alain Corneau rêvait de pouvoir l’écouter… Et puis, depuis le début d’Ecoutez le cinéma !, on voit clairement s’éloigner une génération de compositeurs. Je pense à Jerry Goldsmith, avec qui je n’ai pas réussi à faire une interview pour le livret de Papillon : il était alors en traitement. Il aurait simplement fallu enclencher le projet quelques mois plus tôt… En revanche, je suis heureux que l’on ait pu intégrer à temps John Barry, avec la publication CD de deux magnifiques albums, Americans et The Concert. Ca me fait un drôle d’effet d’avoir réalisé ses deux dernières interviews. J’aurais tellement aimé continué à collaborer avec lui sur de nouvelles rééditions… Et puis, il y a évidemment Maurice Jarre. Je l’ai beaucoup vu pendant dix ans, c’était presque un grand-père d’adoption. Son projet de long-box a été initié et construit avec lui en 2006… mais il n’a pas vu le travail fini, ce qui est une vraie tristesse. Qu’aurait-il pensé notamment de tous ces témoignages, chaleureux, d’amis comme Pierre Boulez, Volker Schlondorff, Jeanne Moreau ou Alexandre Desplat ? 

Concernant ce Long Box avec les musiques de Maurice Jarre, quels choix ont été fait malgré sa disparition ?

S.L : La grande majorité des choix (disons 95%) ont été fait avec lui. Et puis je savais de quelles partitions il était fier. Je lui avais proposé un jour l’idée d’une édition intégrale de Tai-Pan. Il m’avait répondu dans un large sourire : “Je n’en vois pas l’intérêt !” Pour lui, c’était un sous-Homme qui voulut être roi ou Shogun. Il y voyait plus de technique que d’inspiration. Idem dans le Jarre électronique des années 80 : il y a des partitions électroniques vraiment abouties (Witness, par exemple), il y en a d’autres qui ont pris davantage de rides, ce qui est toujours le risque quand on utilise des outils à la pointe de la technologie. Maurice était conscient que, par son traitement orchestral, la partition des Damnés, par exemple, traverserait mieux le temps que celle, disons, de After dark my sweet… Mais une fois encore : Maurice avait effectué des choix, mais ceux-ci étaient soumis à l’autorisation des majors américaines, propriétaires des enregistrements. Et j’ai parfois l’impression que Maurice nous a accompagné, par-delà les nuages : on a obtenu toutes les validations nécessaires, y compris celle de la succession d’Ella Fitzgerald pour la chanson de The Setting sun, dont Jarre était si fier. Cette ballade crépusculaire, c’est le dernier enregistrement studio de la grande Ella, son adieu aux armes. Maurice a vécu avec Fitzgerald la même situation que John Barry avec Louis Armstrong sur Au service secret de sa majesté.  

Concernant l’évolution des supports… Comment Universal compte se préparer à la disparition du disque physique ? Les collections ne sont toujours pas disponibles sur les plateformes numériques de streaming. Est-ce un choix ?

S.L : Là encore, certains problèmes de droits se posent. On ne peut pas tout mettre en téléchargement, mais certains albums sont malgré tout disponibles. Mais de toute façon, c’est en soignant les CD au niveau graphique, au niveau du contenu, au niveau du son, qu’on a encore un peu de chance pour qu'un certain type de consommateur continue à les acheter. Par l’aspect graphique, par l’objet en soi, on offre quelque chose qu’on n'aura pas en téléchargement. Et puis, on touche tout de même à un public assez pointu, assez spécialisé. Quand on parle de réédition de Schifrin, de Duhamel ou de John Barry, on sait très bien qu’on ne s’adresse pas à des gens de vingt ans… mais à des générations qui ont été élevées au disque physique. Ce qui n’empêche pas de développer certains projets qui vont d’abord sortir en téléchargement. La première salve digitale d’Ecoutez le cinema ! est prévue pour la rentrée. Pour nous tous, ce sera une sorte de test. Elle sera complétée, deux mois plus tard, par la traditionnelle fournée d’automne, en physique, comme d’habitude. 

Récemment, une partition comme AU FOND DES BOIS de Bruno Coulais n'a pas eu les honneurs d'une sortie...

S.L : C’est une musique qui existe dans le film et en dehors, comme une oeuvre de concert. Qu’aucun album ne soit sorti est proprement ahurissant. Mais je suis certain que si Bruno avait passé deux ou trois coups de fil, le disque existerait aujourd’hui. D’une certain manière, il se comporte un peu comme Michel Legrand : il déteste la logique du rétroviseur, il ne cesse de rêver en avant. Dès qu’il est sorti de studio, les choses sont posthumes, il est déjà dans son projet d’après. Mais je suis certain que le concerto d’Au fond des bois finira par être publié dans une anthologie Coulais-Jacquot, à terme. 

Maintenant que l'on comprend mieux votre parcours et les enjeux de votre métier, parlons de votre actualité : la nouvelle fournée de "Ecoutez le cinéma" avec Michel Legrand, Maurice Jarre et Philippe Sarde.

S.L : Cette nouvelle fournée permet de concrétiser une idée qui m’est chère : après avoir publié des synthèses sous forme de coffrets quatre CDs, nous en publions des prolongements, des extensions, sous forme de bandes originales complètes. Après les extraits, les versions intégrales. Dans le cas de Jarre, c’est El Condor (partition inédite en disque) et Villa Rides!, deux westerns où éclatent son goût pour les rythmes de l’Amérique espagnole. Pour Michel Legrand, beaucoup de ses aficionados nous réclamaient les quatre mouvements du concerto pour violon de Don Quixote, écrit pour un téléfilm de la BBC, dont figurait une courte suite dans le coffret Le Cinéma de Michel Legrand. Comme Michel voulait parallèlement faire sortir la musique du film qu’il avait composée pour Jon Voight, The Legend of Simon Conjurer, nous avons eu l’idée de les réunir dans un même album, intitulé Suites cinématographiques. Un disque avec des partitions construites sur de grands états, qui démontre le talent de symphoniste du grand Legrand.

Enfin, Philippe Sarde revient avec deux albums complémentaires, l’un autour de Georges Lautner (avec plusieurs partitions inédites en CD, sinon en disque tout court), l’autre autour de Costa-Gavras ("Music Box"...), ce qui était l’occasion de publier la musique additionnelle composée par Philippe pour Mad city, suite à la mésentente entre Costa et Thomas Newman… Cette salve de printemps aurait du comprendre un nouveau Delerue mais nous avons reçu les autorisations juridiques trop tardivement. Il sera donc publié en novembre. C’est un album concept, autour de deux grandes partitions rejetées. Ou disons non utilisées : la formulation est moins brutale. Le pari de cet album sera aussi graphique : juridiquement, nous ne pouvons pas utiliser le matériel d’exploitation (affiches, photos), étant donné qu’il ne s’agit pas des bandes originales définitives. Les graphistes vont devoir redoubler d’inventivité… 

Interview réalisée à Paris le 12 avril 2011 par Benoit Basirico

 

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