Interview B.O : Maxence Dussère & Yasmine Meddour (HOURIA, le chant de la résilience)

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Propos recueillis par Benoit Basirico • Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille.

- Publié le 01-04-2023




Propos recueillis dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille. Maxence Dussère fait la rencontre de Mounia Meddour ("Papicha", 2019) en compagnie de la compositrice Yasmine Meddour. Houria (Lina Khoudry) est danseuse. C'est l'agression qu'elle subit qui déclenche la musique originale qui intervient lorsqu'elle essaie de remarcher. La partition, éthérée et planante, est alors celle de sa résilience, devenant sa voix comme un cri de liberté. Des notes percussives plus tribales marquent des scènes dansées, affichant sa reconstruction.

Cinezik : Yasmine Meddour, c'est votre voix que l'on entend dans certains morceaux, et d'ailleurs, votre voix a déjà été entendue dans un film de la réalisatrice Mounia Meddour, car vous aviez fourni une chanson, "Nedjma", pour "Papicha", son premier film qui avait reçu le César du meilleur premier film.

Yasmine Meddour : Oui, tout à fait, c'était une chanson qui se voulait porteuse d'espoir et de force pour toutes ces femmes qui se battent pour être libres et indépendantes, et en même temps différente de celle de "Houria", qui a été écrite avant le film, alors que "Nedjma" a été composée sur les images. Et puis, complètement différente aussi parce que nous avons travaillé avec Maxence sur cette chanson et la chorégraphe a également beaucoup participé grâce à son travail chorégraphique sur le morceau.

Ce film représente un enjeu particulier pour la musique puisqu'il s'agit d'un personnage de danseuse...

Maxence Dussère : La séquence de la chorégraphie finale a été le point de départ du travail de composition, d'abord sur le scénario, puis petit à petit avec la chorégraphe. Les comédiennes qui sont venues répéter et danser, nous avons capté un peu de leur ressenti. Mounia a aussi découvert beaucoup de choses lors des répétitions chorégraphiques en relation avec son film et son actrice. La manière dont elle voulait la faire bouger, la filmer, et par conséquent la manière dont nous mettrions cela en musique avec Yasmine.

Souvent, la question de la musique de film concerne le moment où l'on intervient. Évidemment, pour ces chorégraphies, par souci de réalisme la danseuse danse réellement sur votre musique composée pour le tournage...

M.D : Oui, et aussi pour une question d'énergie et de travail minutieux pour justement éviter que, durant le tournage, elle danse avec un rythme différent et qu'ensuite nous devions nous débrouiller pour que cela corresponde. Là, il y avait une volonté très forte de la part de Mounia d'avoir quelque chose qui naissait l'un de l'autre, pas comme un artifice de cinéma, mais comme un véritable geste de danse, car le film parle tout de même de cela. Il fallait donc que ce soit quelque chose d'ancré dans les corps, dans la chorégraphie, dans la musique, et que ce travail puisse se faire en parallèle et en harmonie.

Il y a ce très beau travail de sororité dans le récit, où toutes ces danseuses vont s'entraider pour sortir de leur traumatisme. Est-ce que, justement, cette musique est à la fois celle de la chorégraphie et en même temps celle de leur émotion collective ?

Y.M : Pour le travail autour de la sororité, je pense aux voix, ce chœur qu'on entend sur la chanson finale, qui est très répétitive et qui ressemble à une sorte d'incantation. Je l'avais imaginé vraiment comme ce chœur de femmes qui entoure Houria, avec des voix très répétitives exprimant cette résilience, cette envie d'aller de l'avant. Et qui va, en quelque sorte, venir contaminer à rebours le reste de la bande musicale, qui comporte autant d'éléments de voix qu'ensuite on s'est amusé à détricoter, à déconstruire, pour qu'en fin de compte, à la fin, on retombe sur nos pattes.

Les meilleures musiques de film sont souvent celles qui remplissent un rôle très précis, un peu comme un personnage qui intervient quand son rôle le requiert. La musique, chez Mounia Meddour, c'est intéressant parce que dans "Papicha", c'était aussi le cas : la musique n'intervient qu'au bout de 30 minutes, au moment où il y a justement son agression. Cela s'explique parce que cette musique représente finalement la résilience, donc elle n'a pas de sens d'être présente avant. Ce placement musical, est-ce vraiment quelque chose que Mounia sait parfaitement, ou est-ce aussi une discussion avec elle ?

Y.M : Alors, cette discussion sur le moment où la musique commence est arrivée plus tard. Nous avions créé toute une musique pour la première séquence de danse sur la terrasse où elle danse magnifiquement bien, et nous l'avions enregistrée avec de vrais musiciens, avec des cordes. Nous sommes allés jusqu'au bout du processus, nous avons même mixé. Finalement, nous avons décidé de la retirer et de faire commencer la musique originale à partir du moment où Houria se fait agresser. Effectivement, cette musique a été pensée comme la nouvelle voix d'Houria. Tout d'abord, elle est fragile, très fragmentée, puis petit à petit, elle devient de plus en plus déterminée, plus percussive, jusqu'à cette chanson de fin qui est vraiment l'aboutissement de ce combat.

M.D : C'est un peu un réflexe de musicien de parfois vouloir en faire trop là où ce n'est pas forcément le bon endroit, et pour le coup, derrière, il y a un geste de mise en scène de Mounia, de tenir quelque chose. Cela peut être aussi une forme de prise de risque à un moment donné de se dire : "Eh bien non, en fait, effectivement, la musique originale n'arrive qu'au bout de 30 minutes." Du coup, là où évidemment, on a toujours un petit deuil par rapport à une musique qui n'existe plus parce qu'on l'a travaillée jusqu'au bout, en même temps, je suis très content de cela, car c'est quand même la première discussion que nous avons eue avec Mounia de déterminer le rôle de cette musique. Et c'est exactement celui-là, c'est-à-dire d'arriver au moment où les choses s'éclairent pour le personnage.

Maxence Dusserre, vous avez fait la fémis en département son. Alors, au-delà de la composition musicale, dans quelle mesure le son devient musique et la musique devient son, la frontière peut être très ténue entre les deux ?

M.D : C'est vrai qu'il peut y avoir des discussions avec des réalisateurs et des réalisatrices où l'on imagine que le son va nourrir la musique et la musique va nourrir le son. Par exemple, on pourrait envisager de faire de la musique avec des bruits de vent ou des bruits d'accessoires du décor. Théoriquement, c'est une très belle idée, mais concrètement, cela ne fonctionne pas vraiment car ce sont des espaces assez différents. Cependant, il est certain que le son de la musique fait musique. On parle souvent de thèmes musicaux, et c'est généralement la première conversation avec les producteurs, qui ont souvent un langage musical peu technique. Ils veulent des thèmes pour telle personne, un thème pour telle situation. Académiquement, on sait ce qu'est un thème musical, on sait le faire et l'écrire. Mais ce qu'on oublie, c'est que créer un thème, c'est aussi se servir d'un son, trouver une texture sonore. Aujourd'hui, beaucoup de musiques de film reposent sur un travail sonore, au-delà d'un travail musical d'écriture au sens traditionnel du terme. Mon rapport au son dans la fabrication du son contamine évidemment mon rapport à la fabrication musicale. C'est quelque chose de très personnel pour moi. Mes méthodes de travail commencent souvent par la recherche de sonorités plutôt que par une recherche d'harmonie ou de thèmes traditionnels. Ces thèmes existent et apparaissent naturellement par la suite, mais avant tout, j'essaie de trouver une couleur, une sorte de palette sonore pour déterminer quelque chose qui va se fondre au film.

Le thème, c'est la reconnaissance. Et ce n'est pas forcément une mélodie, ça peut être une couleur. C'est quelque chose qui appartient au film en tout cas. Sinon, Yasmine, j'ai lu que vous étiez à la fois inspirée par la musique classique, Ravel, Mahler, ainsi que par la musique de film, Alexandre Desplat, Johann Johannsson, mais aussi des artistes rock comme Radiohead ou Björk, qui ont également fait de la musique de film, et de la musique électronique. Cela vous prépare évidemment à continuer dans la musique de film, car on dit souvent que les compositeurs et compositrices de musique de film sont des caméléons. Dans quelle mesure cet éclectisme vous l'avez aussi mis à profit de ce film "Houria" ?

Y.M : Je pense que ce sont aussi des inspirations un peu inconscientes que l'on développe quand on cherche des idées. J'aime beaucoup écouter de la musique avant de commencer un projet pour m'inspirer, et du coup, je me rattache souvent à des choses qui me plaisent. Là, je pense à Johnny Greenwood sur la BO de "There Will Be Blood", de Sakamoto pour "The Revenant", toutes ces inspirations-là m'ont quelque part inconsciemment marquée et, à partir de cela, j'essaie de trouver quelque chose de singulier qui vienne de ma voix, de mélodies, d'harmonie. Toutes ces inspirations sont très présentes, mais j'essaie de m'en éloigner, de trouver quelque chose de singulier en même temps. Mounia était très présente et à la fois elle nous a laissé beaucoup de place pour expérimenter, pour aller chercher des propositions, des sons différents. Elle savait exactement ce qu'elle voulait : quelque chose de très tribal, de très ancré dans le sol, une musique assez envoûtante. En même temps, elle nous a laissé beaucoup de place pour la créativité et proposer des choses différentes.

Effectivement, dans les percussions, il y a quelque chose d'un peu tribal, ce qui renvoie à quelque chose de sauvage. Comment cela a-t-il été pensé ?

Y.M : Cela a été une volonté de la part de la réalisatrice d'avoir un son très tribal, très ancré dans le sol, quelque chose qui s'apparente presque à une incantation. Je crois que même dans le scénario, si je me souviens bien, pour le spectacle de fin, elle l'imaginait comme une sorte de cérémonie de louve qui danse autour d'un feu. C'était vraiment cet esprit de feu, d'énergie de feu, de quelque chose de très terrien et ancré, que nous avons ensuite mélangé à des sons de cordes beaucoup plus poétiques. La mer aussi, le son de la mer qui lance la musique de fin, rappelle Sonia qui est partie en mer. Des sons électroniques, une voix... c'est vraiment un mélange de nombreux éléments.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico • Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille.

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