Le Voyage de Chihiro (Joe Hisaishi), un voyage captivant, effrayant et nostalgique

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par Quentin Billard

- Publié le 01-01-2008




Joe Hisaishi retrouve son fidèle Hayao Miyazaki pour la sixième fois depuis leur rencontre sur "Nausicaä de la vallée du vent" (1984). Sur ce film d'animation il prolonge l’évolution de plus en plus orchestrale de son travail après l'épique et guerrier "Princesse Mononoke" (2000) .

Septième collaboration entre Hayaho Miyazaki et son fidèle complice Joe Hisaishi, 'Le voyage de Chihiro' est une BO tout à fait caractéristique du genre de musique que le compositeur a l'habitude de faire sur les films de Miyazaki. Entièrement orchestral avec quelques petites touches de synthé typiques du compositeur, 'Le voyage de Chihiro' accompagne à merveille toutes les émotions du film entre aventure, action et poésie plus intime. Le film s'ouvre sur quelques mystérieuses notes de piano dans 'Cet été là...' et une nappe de synthé nous introduit ensuite au très beau thème de piano associé à la jeune Chihiro, un thème typique de l'esprit mélodique de Joe Hisaishi, le piano étant vite rejoint par quelques cordes chaleureuses alors que l'on voit la petite Chihiro arriver au début du film dans la voiture de ses parents en direction de leur nouvelle maison. Ce thème évoque à merveille toute la poésie du film avec une certaine nostalgie plus proche de l'enfance mais sans le côté un peu simpliste que l'on pouvait avoir dans 'Mon Voisin Totoro'. Ici, on est beaucoup plus proche de la musique du 'Château dans le ciel'. Les vents viennent alors rejoindre les cordes et le piano pour laisser place à un petit passage rythmé alors que la voiture des parents de Chihiro suit le petit chemin dans la forêt les menant à l'entrée du mystérieux passage qui marquera le début des aventures de la jeune héroïne. Ce premier morceau témoigne du talent du compositeur lorsqu'il s'agit d'écrire de très beaux morceaux orchestraux avec des thèmes plein de poésie et une fraîcheur mélodique chère au compositeur nippon.

'Le chemin où on passe' est plus mystérieux d'esprit avec quelques synthés atmosphériques discrets et quelques notes de piano qui semblent flotter dans l'air en compagnie des cordes. Le morceau évoque tout le mystère lié au mystérieux chemin qui conduira Chihiro et ses parents dans l'endroit où tout commencera pour la jeune fillette. Avec ces deux premiers morceaux, Hisaishi nous annonce encore doucement une aventure pleine de magie et de fantaisie. 'Le restaurant où on ne voit jamais personne' rejoint le côté mystérieux du 'chemin où on passe' avec quelques cordes et vents en suspend et quelques coups discrets de petites percussions. On sent ici une certaine attente, un certain suspense pas vraiment inquiétant mais plutôt intriguant. Les parents de Chihiro arrivent près du restaurant désert et après s'être jeté sur la nourriture, ces derniers se transforment alors en cochons. L'orchestre semble alors s'agiter soudainement, oscillant entre pizzicati, traits de harpe, bassons sautillants et trompettes en sourdine plus vives, ce bref 'emballement' de l'orchestre exprimant alors la mauvaise surprise de Chihiro qui découvre alors ses deux parents transformés subitement en cochons. La fin de la musique exprime alors sa deuxième découverte: l'immense palais des bains de Yubaba.

Dans 'La nuit tombe', les cordes, les vents et la harpe laissent place à un certaine mélancolie alors que Chihiro se retrouve seule face à son nouveau destin. Elle doit alors chercher du travail pour tenter de sauver ses parents. Hisaishi installe alors un climat plus inquiétant avec quelques cordes dissonantes avant que l'orchestre ne se lance dans un petit Allegro très rythmé, preuve que le compositeur s'améliore de plus en plus au fil des années dans son écriture orchestrale, écriture qu'il maîtrise de plus en plus jusqu'à atteindre des sommets dans cette excellente partition orchestrale. 'Le petit dragon' permet alors à la partition d'Hisaishi de prendre son envol dans un passage plutôt agité reposant sur un ostinato mélodique lié à l'aventure de Chihiro lorsque cette dernière découvre le petit dragon volant qui n'est autre que Haku, empoisonné par le sort que Yubaba lui a jeté. Sur un registre plus léger et sautillant, 'La punaise de la chaudière' nous permet d'entendre un nouveau motif lié aux boules de suie de la chaudière où travaille le vieux Kamaji. Confié à des bois soutenu par un tuba plus sautillant, le morceau repose sur une orchestration très réussie exprimant toute la fantaisie légère de cette séquence dans la chaudière et une écriture orchestrale toujours pleinement maîtrisée, le tout mâtinée d'un certain classicisme d'écriture plus 19èmiste d'esprit, preuve de la culture musicale du compositeur (les quelques traits de piano vers la fin du morceau évoquent par moment un mélange entre du Schumann ou du Grieg).

'Les dieux' est lié quand à lui à l'arrivée des dieux dans le palais des bains de Yubaba. A noter le début du morceau qui commence sur un petit motif léger de pizzicati vite suivi par l'utilisation d'un koto (instrument de la musique traditionnelle japonaise constitué de trois parties - le Ryuko ou corps principal de l'instrument contenant les cordes, le Ryubi ou extrémité de l'instrument permettant de tenir les cordes et le Ji ou pont de l'instrument qui utilise les supports des cordes comme dans un violon, l'instrument étant joué par des Tsume ou sortes de petites griffes que l'interprète glisse le long de ses doigts pour pouvoir jouer de l'instrument) et d'une voix japonaise plus typique de la musique vocale traditionnelle nippone. Le morceau accompagne parfaitement ici l'arrivée du Dieu (évoqué par des cuivres plus massifs) avant que l'orchestre se lance dans un excellent tutti puissant reprenant le motif de koto dans ce qui semble être le morceau le plus fantaisiste de tout le score. On découvre alors Yubaba dans 'Yubaba, la vieille du bain public' et auquel Hisaishi attribue ici un motif de piano en octaves pour souligner son côté plutôt menaçant et impressionnant. A noter ici une excellente utilisation d'un choeur de synthé avec l'orchestre pour renforcer le côté 'magique' de cette impressionnante sorcière à la tête disproportionnée. Le morceau nous fait parfaitement ressentir l'inquiétude de la petite Chihiro qui se retrouve face à cette sorcière imposante et qui doit tout faire pour la convaincre de lui donner du travail. On notera ici l'utilisation d'une petite musette japonaise plutôt étrange, nouvelle touche de fantaisie que Hisaishi insère dans sa musique afin de faire ressortir à son tour toute la magie et la fantaisiste de cette grande aventure.

On retrouve le thème sautillant des boules de suie dans 'Le bain public au matin' lorsque Chihiro se réveille au petit matin après avoir passé sa première journée épuisante dans le bain public de Yubaba (on retrouve vers la fin du morceau la petite musette fantaisiste de 'Yubaba, la vieille du bain public'). 'La rivière, ce jour là...' nous permet alors de retrouver le très beau thème de piano de Chihiro alors que cette dernière retrouve Haku qui lui montre alors où se trouvent ses parents. Chihiro craque et pleure dans les bras d'Haku qui tente de la consoler en lui donnant un petit quelque chose à manger. Le thème de Chihiro dégage une fois de plus cette nostalgie intime typique du compositeur qui illumine cette petite scène en évoquant quelque part la fragilité du personnage. On notera l'excellent 'Le boulot, c'est tuant!' qui évoque à son tour la musique traditionnelle japonaise par le biais de la petite musette japonaise, d'une petite rythmique de koto, de quelques flûtes (à noter l'utilisation de la fameuse gamme pentatonique, caractéristique musicale majeure liée à une bonne partie du répertoire de la musique ethnique orientale et asiatique) et quelques percussions en bois pour la scène où les femmes du bain public nettoient les locaux, Chihiro travaillant à son tour à une cadence épuisante pour son jeune âge.

On change très clairement d'ambiance dans le sombre 'Une Divinité calamiteuse' alors que l'immonde dieu recouvert de boue puante arrive au bain public. Après quelques percussions et quelques cordes sinistres (à noter une utilisation très impressionnante de glissandos de cordes exprimant tout le côté plus inquiétant de la scène), Hisaishi installe une petite rythmique avec quelques instruments traditionnels japonais et quelques percussions diverses alors que la petite Chihiro va devoir affronter l'épreuve que lui lance le destin: donner le bain à ce Dieu puant et répugnant. On retrouve un petit motif de flûte proche de celui de 'Le boulot, c'est tuant!', le morceau faisant monter la tension alors que Chihiro découvre que le dieu cache sous son épaisse couche de boue puante un objet étrange. 'Une Divinité calamiteuse' est de loin l'un des morceaux les plus impressionnants que le compositeur ait pu écrire sur un film de Miyazaki, preuve d'une maturité d'écriture fraîchement acquise au fil des années. Dans 'Le courage de Chi', la jeune héroïne cherche à rentrer dans le Q.G. de Yubaba pour venir sauver le petit dragon blessé qui se cache chez elle. Ici, l'héroïne fait preuve d'un certain décourage d'un dépassement de soi émouvant puisque la jeune fillette fait tout ca pour Haku, le garçon/dragon qu'elle aime au fond d'elle sans vraiment en avoir pleinement conscience.

Le compositeur a très peu souvent abordé l'action tonitruante au cours de sa carrière de compositeur pour le cinéma. 'Un trou insondable' lui permet alors de s'exprimer pleinement dans le registre de l'action alors que le dieu sans visage commence à commettre ses méfaits et à dévaster le bain public de Yubaba en dévorant tout le monde sur son passage. On notera ici la puissance impressionnante qui se dégage de l'orchestre (interprétation plus que convaincante d'un New Japan Philharmonic Orchestra en pleine forme!), Hisaishi poursuivant cette ambiance plus inquiétante dans 'Sans-Visage' où il utilise un petit motif d'instrument métallique et quelques petites percussions pour évoquer le mystérieux dieu sans visage qui suit Chihiro partout où elle va sans vraiment savoir ce qu'il veut, la seconde partie du morceau tournant elle aussi vers l'action frénétique pour souligner de nouveau les méfaits de cet étrange Dieu devenu fou furieux. On retrouve calme et sérénité dans 'Le sixième gîte d'étape' alors que Chihiro, ses deux nouveaux petits animaux amis et le dieu sans visage (apaisé) font route ensemble dans le train qui les conduira à la demeure de Zeniba, la soeur jumelle de Yubaba. Le morceau laisse place ici à un piano solitaire (avec des cordes plus douces) dont les quelques notes semblent flotter dans l'air avec une certaine mélancolie sereine relié ici aux sentiments profonds qui habitent la fillette qui s'est surpassé tout au long de son aventure. Le morceau dégage aussi une certaine émotion dans cette très belle séquence du train annonçant déjà que la fin de son aventure est proche (on sent ici l'influence des musiques de Hisaishi pour les films de Takeshi Kitano, musiques desquelles on retrouve ici le style plus mélancolique et intime).

Nouveau passage d'action frénétique, 'La folie furieuse de Yubaba' exprime la colère de la sorcière devenue folle furieuse après avoir appris que Chihiro avait déserté le bain public emmenant avec elle son gros bébé (transformé en petit rat par Zeniba). On retrouve ici le petit motif de piano lié à la sorcière dans une ambiance très proche de ce qu'on avait déjà pu entendre dans 'Yubaba, la vieille du bain public'. Mais le calme et la sérénité reviennent à nouveau dans 'La maison du fond du marécage' avec un très mélange entre piano/harpe avant de laisser place à des cordes plus chaleureuses et une flûte solitaire. Chihiro et ses amis sont enfin arrivés à la maison de Zeniba, le morceau exprimant le côté plus sympathique et accueillant de cette personne qui est l'opposée même de sa soeur. La partition atteint un point culminant dans le magnifique 'De nouveau...' qui nous tirera les larmes des yeux de par la beauté de cette nouvelle mélodie d'une fraîcheur exaltante et d'une simplicité émouvante. 'De nouveau...' est un pur morceau de poésie de plus de 4 minutes accompagnant la scène où Chihiro et Haku font leurs retrouvailles, l'héroïne découvrant alors que Haku est lui aussi un Dieu, le dieu de la rivière dans laquelle elle était tombée il y a quelques années. La partition prend alors son envol, toujours basée ici sur ce magnifique thème des retrouvailles alors que les deux héros s'envolent ensemble dans une séquence magique et retournent en direction du bain public de Yubaba, Chihiro devant maintenant libérer ses parents, Haku étant désormais libre de toute contrainte. Le lyrisme et la poésie de 'De nouveau...' est le genre de morceau qui témoigne de tout le talent du compositeur et de sa passion pour son métier (car s'il n'était pas passionné par ce qu'il fait, comment pourrait-il écrire d'aussi belle musique?). C'est le triomphe final de l'héroïne dans 'Le jour du retour' alors que Chihiro retrouve enfin ses parents, libérés du sort de Yubaba. Le thème de Chihiro revient une dernière fois pour conclure ce magnifique conte avec une poésie pleine de fraîcheur et de tendresse, le morceau finissant de manière plus douce, calme et apaisée, laissant place à la très belle chanson 'Rêvons toujours les mêmes rêves aimés', écrite par Youmi Kimura avec de très belles paroles de Wakako Kaku.

Véritable voyage musical dans l'univers fantaisiste, magique et poétique de Miyazaki, le score du 'Voyage de Chihiro' est sans aucun doute le nouveau chef d'oeuvre d'un Joe Hisaishi visiblement inspiré par le film et qui nous livre là une nouvelle partition orchestrale encore plus fantaisiste, puissante et maîtrisée que 'Mononoke Hime' (une autre oeuvre incontournable du compositeur!). Laissons vous entraîner dans l'univers poétique et fantaisiste de la musique de Hisaishi pour 'Le voyage de Chihiro'. Si vous appréciez les partitions du compositeur pour les films de Miyazaki, 'Le voyage de Chihiro' ne pourra pas vous décevoir, à l'instar du film lui même. Véritable réussite sur toute la ligne (doublé d'un 'souffle' orchestral impressionnant et amplement maîtrisé), 'Le voyage de Chihiro' est ce genre de film/musique qui nous faire rêver, qui permet de nous évader, de découvrir autre chose, quelque chose de plus beau, de plus neuf, de plus apaisant, quelque chose qui, au final, nous fait comprendre que la vie est vraiment belle, car si elle ne l'était pas, pourquoi d'aussi belles musiques existeraient alors? Un chef-d'oeuvre à découvrir de toute urgence!

par Quentin Billard


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