Interview B.O : François Ozon & Philippe Rombi, POTICHE

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Interview réalisée à Paris le 4 novembre 2010 par Benoit Basirico - Publié le 09-11-2010




Philippe Rombi est le compositeur régulier de François Ozon, rencontré sur Les Amants criminels en 1999, sa première musique de film. Ce tandem aborde tous les genres (Sous le Sable, Swimming Pool, Angel...). Après RICKY, ils se retrouvent sur POTICHE dans une comédie avec une partition pastichant Morricone et Cosma, cotoyant des chansons, dont une interprétée par Catherine Deneuve, "C'est beau la vie" de Jean Ferrat.

Cinezik : A quel moment le travail musical a débuté ?

François Ozon : Je n'ai pas pensé tout de suite à la musique mais j'ai contacté Philippe après avoir tourné la première séquence, celle du footing de Catherine Deneuve...

Philippe Rombi : Tu m'as dit qu'on allait travailler ensemble assez tôt, comme pour SWIMMING POOL...

F.O : Tu n'avais pas encore le scénario...

P.R : Je l'ai eu pour lire la suite du footing, mais j'ai eu d'abord les images...

Il y a des chansons qui sont déterminées par l'univers du film, qui ont dû être pensées en amont ?

F.O : Je me suis demandé quelles étaient les chansons populaires de l'époque, j'ai donc regardé des titres des années 77, 78, dans les "hit parades", et je suis tombé sur Michèle Torr...

P.R : "Emmène-moi danser ce soir..." (en chant)

F.O : Voilà ! Puis j'ai cherché la chanson du Badaboom, pour la danse, et ce fut un titre de "Il était une fois" que je ne connaissais pas du tout. Je me suis imprégné de l'époque, et j'ai vu des films en écoutant leur musique, avec Vladimir Cosma, Michel Magne, Delerue que je connais bien... Alors ce que je fais en général, au montage, j'utilise des musiques déjà existantes pour faire marcher la séquence, mais ce n'est pas bien pour Philippe et moi, car on s'y habitue, alors il est difficile de s'en détacher.

P.R : Il y a eu des améliorations après les quelques films que nous avons faits ensemble. François n'a plus cette obsession de s'attacher à la musique témoin à tout prix. Il est très impatient que je lui propose autre chose pour vite enlever la musique initiale. Mais en même temps cela nous donne un sujet de conversation...

F.O : C'est une base de travail. J'ai demandé à Philippe de faire ses propres thèmes, mais en retrouvant les instrumentations d'époque, pour que cela sonne comme dans les années 70. Je voulais qu'on s'immerge dans cette époque, comme les costumes, les coiffures. Il fallait donc que Philippe s'en imprègne. Je lui ai par exemple demandé que quelqu'un siffle, ou d'utiliser des voix "chabadabada"...

Ces voix renvoient à "L'Aile ou la cuisse" de Cosma...

F.O : J'avais vraiment en tête les films de Louis de Funès en faisant le film, sans les revoir, j'en gardais un bon souvenir. C'est vrai qu'il y avait des musiques qui reviennent à la mode aujourd'hui, dans une démarche "vintage". Ce sont des bonnes compositions en plus...

P.R : Tout à fait, ça a marqué notre génération, je n'ai pas eu besoin de réécouter les disques, je les ai dans la tête, comme une mémoire collective. Pour "L'Aile ou la cuisse" en revanche, j'ai du réécouter l'original car l'idée était que Luchini écoute ce type de musique d'époque dans son transistor.

F.O : On s'est même demandé à un moment si on ne mettait pas "L'Aile ou la cuisse", et tu m'as dit que non, tu préférais faire quelque chose dans le même esprit.

P.R : C'était amusant de reprendre ces voix.

Vous aimez faire chanter les comédiennes, cela vient d'un goût pour la comédie musicale ?

F.O : J'aime beaucoup la comédie musicale, ces moments où un acteur est dans la voix parlée, puis passe à la chanson, dans la continuité. Et puis je trouve que demander à des acteurs de chanter, non professionnels dans cet exercice, ils ne sont pas dans la maitrise, l'interprétation est intéressante. Quand je demande à Catherine Deneuve de chanter, je sais que ce ne sera pas La Callas ou Edith Piaf, mais autre chose... c'est sa voix, son interprétation, je trouve cela plus touchant que si c'était parfait. Je trouve d'ailleurs que Jacques Demy a fait une erreur de ne pas la faire chanter (ndlr : doublée dans "Les Parapluies de Cherbourg" pour le chant par Danielle Licari), et dans "Une Chambre en ville" elle devait chanter avec Gérard Depardieu, mais Jacques Demy les a remplacés par Richard Berry et Dominique Sanda.

A vos débuts, vous hésitiez à convoquer de la musique originale, mais désormais, vous êtes plus décomplexé sur ce sujet...

F.O : J'avais tendance à me dire que si je mettais de la musique, c'est que j'avais raté quelque chose. Mon idée était de pouvoir me passer de musique, pour une pureté du film. C'est l'héritage de Bresson. La musique est un artifice en plus. Et petit à petit, grâce au travail avec Philippe, je me suis rendu compte que je pouvais raconter une histoire autrement à travers la musique, pas seulement parce que l'émotion ne passe pas et que je suis obligé d'ajouter des violons. Parfois j'avoue, on est obligé de mettre de la musique qui aide l'action, quand il n'y a pas la tension à l'image, la musique est là aussi, les musiciens savent qu'ils sont aussi là pour palier à un manque dans le récit. Mais ça ne pâlie jamais complètement à mon avis. 
Avec le temps, lorsqu'avec SWIMMING POOL Philippe avait composé une musique en parallèle de l'histoire, qui correspondait à ce que Charlotte Rampling vivait, c'était un film sur la création et la musique se crée en même temps, je me suis dit que la musique pouvait avoir ce rôle sans qu'elle soit une paraphrase.

Quel est donc le rôle parallèle de la musique dans POTICHE ?

F.O : Il y a deux niveaux. Il y a la veine comique, satirique, un peu parodique, avec une musique kitsch, dans un côté fleur bleue qui correspond au monde de Suzanne Pujol, avec ses petits poèmes et des violons assumés, un peu cul cul. Et puis il y a une musique plus "deleruienne", plus sentimentale qui correspond davantage à la veine de Philippe pour les scènes entre Gérard Depardieu et Catherine Deneuve, de l'ordre de la passion amoureuse, plus romanesque.

P.R : C'est vrai que j'ai été très tôt touché par ce duo, je me suis dit qu'il serait bien de faire un thème qui pouvait être sobre au piano seul, ou plus dramatique. Il fallait doser comme des températures.

La musique marque les spectateurs qui s'en souviennent après la séance...

F.O : J'adore voir des films qui me donnent envie d'acheter la BO en sortant, j'adore quand un thème me prend, m'en souvenir, alors souvent je demande à Philippe de faire des musiques qui soient des tubes (rires).

P.R : C'est pour cela qu'on s'entend bien, car j'adore la mélodie.

F.O : Je n'en ai pas peur, je trouve que la mélodie sert un film. Des morceaux très mélodieux qui peuvent paraitre faciles, sont plus complexes. Je me souviens lorsque j'ai mis la chanson "Bang Bang" de Sheila (ndlr : dans son court-métrage "Une Robe d'été"), les Cahiers du cinéma avait écrit "enfin un film qui nous fait aimer une chanson de Sheila"), chanson qui a été utilisée depuis par Tarantino et Xavier Dolan. Mais à l'époque c'était le comble du ringardisme d'utiliser cette chanson.

Comment le choix des thèmes se fait entre vous ?

F.O : Je ne me souviens pas lui avoir refusé un thème, c'est plus dans les instruments qu'il utilise que je l'oriente. Je lui fais confiance sur les thèmes, il arrive à en trouver qui accrochent l'oreille, qui soient aussi riches, mais souvent je l'oriente sur les instruments, pour SOUS LE SABLE, je lui avais parlé d'un piano avec violoncelle. C'est vrai que Philippe est plutôt un musicien du trop, après il faut enlever. Il est généreux.

Dans POTICHE, en quoi la musique participe au comique ?

F.O : Elle a un effet comique quand elle est en décalage par rapport à ce qu'on voit. Elle joue sur la nostalgie, et cela crée un sentiment de décalage. La musique est drôle lorsque Karin Viard prend sa bombe à cheveux et la musique joue du suspens ou lorsque Catherine fait son poème pas extraordinaire et que la musique très romantique est grandiloquente.

P.R : C'est un contrepoint, la musique est sucrée, mais elle n'est pas drôle strictement, ce n'est pas une musique "poet poet", ce n'est pas une musique comique de situation, c'est juste une musique d'humeur, et c'est ce qui fait rire.

Y a t-il une spécificité dans votre collaboration musicale avec François Ozon ?

P.R : J'aime bien cultiver avec un réalisateur quelque chose qui lui soit propre. François change de registre à chaque film, mais il a l'intelligence de se dire que son compositeur peut s'adapter sans changer de compositeur. Et j'essaie de cultiver une réminiscence, un son de piano, des cordes, pour renforcer la personnalité du réalisateur, ça unifie une oeuvre, j'essaie toujours de penser à une oeuvre, plutôt qu'à un film au coup par coup.

Interview réalisée à Paris le 4 novembre 2010 par Benoit Basirico

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