Journal des B.O de Cannes #2 : The Zone of Interest & Les Filles d'Olfa, faire entendre la violence hors cadre

Cannes 2023,@,filles-dolfa2023041701,zone-of-interest2023041700,etat-limite2023050114,prince2023050615,black-flies2023042515,meutes2023050721,linda-veut-du-poulet2023050114,omar-fraise2023042301, - Journal des B.O de Cannes #2 : The Zone of Interest & Les Filles d'Olfa, faire entendre la violence hors cadre


par Benoit Basirico

- Publié le 20-05-2023




Cette sélection des musiques entendues dans les films du festival (en se focalisant sur les films vus parmi la quantité de la programmation) présente deux coups de cœur (à la fois musicaux et cinématographiques) dans lesquels Mica Levi et Amine Bouhafa illustrent de leurs notes une violence impossible à représenter frontalement, de la puissance évocatrice de la musique de "The Zone of Interest" à la sensibilité des cordes dans "Les Filles d'Olfa". 

Coups de Coeur (film et musique originale)

The Zone of Interest (Jonathan Glazer) - BO : Mica Levi (Compétition) 

Mica Levi retrouve Jonathan Glazer après "Under the Skin" (2014) au coeur de la deuxième guerre mondiale dont les horreurs sont laissées hors champs puisque nous demeurons auprès d'une famille allemande dans une maison avec jardin à côté du camp d’Auschwitz. Les atrocités qui se jouent sont représentées par le travail sur le son (des fusils, des cris...), et une musique qui prend la forme d'une sirène assourdissante (convoquant l'irreprésentable face à des plans comme des cartons de couleur - rouge, noir, blanc - laissant entrevoir le drame par l'écoute et l’abstraction). Tout simplement bouleversant. 

Les Filles d'Olfa (Kaouther Ben Hania) - BO : Amine Bouhafa (Compétition) 

Amine Bouhafa retrouve Kaouther Ben Hania sur ce docu-fiction tunisien après "La Belle et la Meute" (2017) et "L'Homme qui a vendu sa peau" (2022). Le film évoque le drame d'une famille, d'une mère et de ses 4 filles, dont deux commettent l'irréparable. La cinéaste choisit un dispositif qui mêle le documentaire, avec les témoignages de la vraie mère et de deux des filles, et la reconstitution, où des comédiennes viennent interpréter les souvenirs. Les deux éléments interagissent, les actrices questionnant leurs modèles, créant ainsi une certaine sororité, où l'interprétation implique une compréhension de l'autre. La partition de cordes contribue à l'empathie et oscille entre gravité et légèreté, entre intimité et romanesque. Elle soutient à la fois les paroles vécues et les scènes jouées, instaurant par instants une tension pour les surgissements de violence.


Autres présences musicales (originales) 

État limite (Nicolas Peduzzi) - BO : Gael Rakotondrabe (ACID) 

Le pianiste Gael Rakotondrabe signe une musique electro pour le documentaire de Nicolas Peduzzi en milieu hospitalier auprès d'un médecin qui arpente les couloirs vêtu de sa blouse blanche et fait face au manque de moyens. La partition illustre un univers en tension, joue l'urgence par ses rythmiques, et le chaos d'un milieu en détresse par ses textures hybrides. Avec la musique, le documentaire quitte la simple représentation du réel pour toucher au trauma global de toute une société. • Interview du compositeur

Black Flies (Jean-Stéphane Sauvaire) - BO : Quentin Sirjacq, Nicolas Becker (Compétition) 

Le réalisateur français Jean-Stéphane Sauvaire relate dans son thriller américain le quotidien de deux ambulanciers (le novice - Tye Sheridan, et l'expérimenté - Sean Penn) confrontés à la violence urbaine. Le film choisit d'épouser le point de vue du jeune ambulancier avec un travail sensoriel pour coller à son écoute. C'est Nicolas Becker (qui retrouve le cinéaste après "Une prière avant l'aube", 2018) qui élabore cet environnement sonore. Tandis que Quentin Sirjacq (habitué aux romances ou comédie de Jean-Pierre Améris) se charge de la partie plus mélodique en convoquant avec un orgue la dimension religieuse du récit (le tandem à l'image étant comme l'ange et le démon). • Interview de Quentin Sirjack

Les Meutes (Kamal Lazraq) - BO : Pauline Rambeau de Baralon (Un Certain Regard) 

Pauline Rambeau de Baralon signe la musique du premier film du réalisateur marocain Kamal Lazraq. Artiste aux multiples facettes, plus connue sous son nom de scène P.R2B, elle a déjà fait ses preuves dans l'industrie musicale avec son premier album "Rayons Gamma". Ses talents d'autrice-compositrice-interprète, conjugués à son expérience de réalisatrice acquise à la Femis, lui confèrent une sensibilité particulière pour la création de bandes originales de films. Dans ce film criminel, la musique est utilisée avec parcimonie, comme pour mieux souligner l'intensité de chaque note. La clarinette, élément central, se fait entendre comme un souffle, un murmure musical qui accompagne les déplacements nocturnes du père et de son fils dans un périple à travers les faubourgs populaires de Casablanca pour cacher un corps. Une tension est palpable comme leur lien familial sous-jacent. C'est précisément dans des moments de déplacements, lorsque les personnages sont en voiture, que la musique intervient le plus souvent, comme un contrepoint à l'action, créant une atmosphère presque irréelle qui contraste avec la brutalité de la situation. Chaque note de la clarinette semble alors porter l'angoisse et la peur de ces deux êtres confrontés à l'inacceptable. • Interview du réalisateur et de la compositrice P.R2B.

Linda veut du poulet (Chiara Malta & Sébastien Laudenbach) - BO : Clément Ducol (ACID) 

Clément Ducol signe la musique du film d'animation de Chiara Malta & Sébastien Laudenbach, naviguant entre différents styles, avec une prédominance du jazz rythmique, illustrant les différentes émotions traversées par Linda tout au long de l'histoire, de son deuil pour son père à ses moments d'amitié avec une jeune fille prénommée Carmen. La partition est née de chansons sur des paroles écrites par les réalisateurs et interprétées par les voix du film (Clotilde Hesme, Laetitia Dosch, Pietro Sermonti), ainsi que Juliette Armanet pour le final. Chaque chanson ajoute une couche de narration supplémentaire, permettant de plonger plus profondément dans les pensées de Linda. Enfin, on peut noter l'utilisation de la musique préexistante, "La Gazza Ladra" (La Pie voleuse) de Rossini. • Interview des réalisateur.trice et compositeur

Un prince (Pierre Creton) - BO : Jozef van Wissem (Quinzaine des Réalisateurs) 

Jozef van Wissem signe la musique du film de Pierre Creton qui était au départ essentiellement tourné vers des documentaires n'incluant pas de collaborations musicales avant de faire appel à The Limiñanas sur son précédent et premier film de fiction, "Le Bel été". Le compositeur néerlandais illustre le récit initiatique du film (un jeune homme découvre le jardinage et les pratiques sexuelles singulières) et les scènes de nature picturale, en plans fixes, par des notes envoûtantes de l'ordre de la procession, avec une certaine religiosité, comme une cérémonie. Une voix-off associée à cette musique contribue à élaborer un poème. Le travail de Jozef van Wissem est une invitation à ressentir les thèmes centraux du film : le désir, la nature et le cycle de la vie.  • Interview du réalisateur

How to Have Sex (Molly Manning Walker ) - BO : James Jacobs (Un Certain Regard) 

James Jacobs signe la musique du premier film britannique de Molly Manning Walker sur trois copines en vacances entre fêtes, cuites et nuits blanches. On entend alors essentiellement des morceaux festifs préexistants, tandis que la musique originale entre dans l'intimité de la jeune femme qui subit un évènement traumatique, avec des sonorités plus ethérées. On y retrouve notamment de la danse entraînante, de la house accrocheuse, des classiques pop, du dancehall, des remix électroniques, de la pop-dance contagieuse, du deep house, du rap explicite, de l'électronique relaxante, de l'indie-pop mélodique, des pistes électroniques entraînantes et de la ballade pop émotionnelle.

Omar la fraise (Elias Belkeddar) - BO : Sofiane Saidi (Hors Compétition) 

Le chanteur algérien Sofiane Saidi signe la musique du premier long métrage d'Élias Belkeddar. Sa partition propose une sorte de pop algérienne pour dynamiser les aventures de bandits trafiquants (Reda Kateb, Benoît Magimel) dans l'esprit bavard des premiers films de Tarantino. Le caractère hétéroclite convient bien au mélange des genres, entre le rire potache et la violence crue, le calme du désert et le chaos de la ville. On y entend de nombreux titres préexistants de plusieurs genres, allant de la musique algérienne populaire à la musique classique (Mozart), des chansons romantiques (Julio Iglesias) à de la musique électronique (William Grigahcine, Sylvain Lux) et du jazz instrumental (Brice Davoli, Oscar Peterson Trio.).

par Benoit Basirico


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