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Les écrans sonores (Podcast) : Comment manoeuvrer avec le budget musique d’un film ?

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- Publié le 12-07-2023




Une série de podcasts de 11 épisodes intulés “Les écrans sonores” mène une exploration de la musique à l’image sous toutes ses composantes, présenté par Dominique Dalcan et Thierry Jousse, produit par l'U2C. L'épisode publié le 5 juillet complète notre récent article sur le financement de la musique de film. En plus de vous recommander l'écoute de ce programme, voici une version écrite des propos concernant les budgets. 

Lien d'écoute de cet épisode des "Ecrans Sonores"

Dominique Dalcan : Discuter un budget, ce n'est pas toujours facile. Les rapports de force se mettent rapidement en place. Le compositeur, seul ou accompagné de son entourage d'un côté, et la réalisatrice ou le réalisateur, et parfois avec sa production, de l'autre.
On cherche l'alchimie au meilleur rapport qualité-prix ? Pas forcément, il faut s'entendre et expliquer son travail respectif.

Thierry Jousse : La musique de film est une pratique artistique, mais c'est également un business. L'argent consacré à la musique dans le budget d'un film est le nerf d'une activité qui se noue, la plupart du temps, dans la contrainte. Car une musique s'élabore aussi en fonction d'un budget, qui est parfois très restreint. La question des droits musicaux attribués aux compositeurs est également au centre du sujet. La plupart du temps, compositeurs et compositrices ne choisissent pas les films en fonction de l'argent. A eux et elles de trouver les solutions esthétiques en fonction du budget qui leur est proposé.

Uele Lamore (compositrice) : Si je souhaite que le son s'apparente à celui de Joe Hisaishi, avec un budget pour cinq musiciens, ça ne va pas être possible. Je crois qu'il est essentiel de discuter de ce sujet de budget immédiatement. Il faut être direct avec le réalisateur ou la réalisatrice qui, parfois, et c'est compréhensible, n'a pas conscience de ce qu'enregistrer un orchestre coûte réellement. Je pense qu'il faut le leur dire d'emblée, avant même de commencer. Par exemple, je pourrais te proposer 50 cordes, aucun problème, mais il nous serait impossible de les enregistrer avec ton budget. Et s'ils commencent à objecter "ouais nanana", je leur réponds simplement "discute avec ton producteur". Je précise cela immédiatement parce que je ne vais pas concevoir quelque chose qui ne pourra jamais être enregistré. Et lorsque le budget pour enregistrer un orchestre n'est vraiment pas là, de toute façon, je trouve que c'est génial de réaliser des bandes originales avec uniquement des synthétiseurs. J'ai l'impression qu'en France, l'argent est souvent un sujet un peu tabou, dont on ne discute sérieusement qu'à la fin. Ou qu'on aborde au moment de signer le contrat, alors que non, il faut en parler dès le début. C'est très important. L'argent, cela va déterminer comment tu vas réfléchir à ta bande originale, comment tu vas pouvoir en parler avec la personne qui réalise le film. Parce que tu ne peux pas parler d'une texture orchestrale si le film n'a pas les moyens de s'offrir un orchestre. Ce serait une discussion stérile.

Loïk Dury (compositeur) : Au commencement, l'excitation de composer pour des films était telle que je déclarais toujours "peu importe le budget". Autrement dit, informez-moi du budget et je m'adapterai. Car ayant travaillé sur des films à succès au début, des amis réalisant de petits films pensaient que j'étais trop onéreux. Dès que tu réussis dans un film, on pense que tu es débordé et trop coûteux. Les gens cessent donc de t'appeler rapidement, j'ai donc affirmé : "Non, je ne m'en soucie pas, dites-moi, on peut réaliser des films à 10 000 ou à 200 000, ce n'est pas un problème." Il suffit simplement de savoir, je ne vais pas créer un film à 10 000 avec un grand orchestre de cordes. On va s'efforcer de faire quelque chose de bien, élégant et tout, mais dans le cadre de ce budget. Donc au début, j'ai abordé les choses de cette manière. Au fil du temps, tu te lasses, tu vois. J'ai également beaucoup travaillé dans le documentaire à un certain moment pour aider des amis, en me disant "Pas grave, il n'y a pas d'argent pour le documentaire, il y aura des droits." En réalité, les droits du documentaire, cela te permet d'acheter un sandwich au fromage par an, donc même si tu accumules les documentaires, il faut vraiment avoir de la chance pour tomber sur un qui est largement diffusé, et encore, ce n'est pas grand-chose. Ensuite, pour le cinéma, c'est une question de chance. C'est-à-dire que tu as à la fois des films qui cartonnent et des films qui ne réussissent pas. Et parfois, tu es convaincu qu'un film va cartonner et il ne fonctionne pas, et inversement. Donc oui, en France, nous avons un avantage incroyable, c'est que nous sommes un auteur, nous sommes l'un des trois auteurs du film, mais nous ne sommes absolument pas traités comme tels.

Marie-Jeanne Serero (compositrice) : Si nous réalisons des maquettes de qualité, bien conçues, nous pouvons ajouter quelques musiciens et faire en sorte que cela sonne bien. C'est ce petit talent d'orchestrateur qui permet, en écrivant le plus adéquatement possible, d'associer la maquette en Musique Assistée par Ordinateur (MAO) avec l'orchestre, de façon à ne pas avoir nécessairement besoin de 80 musiciens, mais seulement quelques-uns. En effet, même avec des effectifs réduits, nous parvenons à obtenir de très beaux résultats. Je ne suis pas une puriste dans le sens où le monde évolue. Nous ne pouvons plus nous permettre d'avoir 80 musiciens, à moins d'aller à Prague. Alors, comment faire pour enregistrer avec un nombre plus limité d'instruments tout en conservant cette sensation d'orchestre ? Mais aujourd'hui, nous pouvons combiner du son, des textures, de la MAO et des musiciens. En revanche, l'écriture, le fait d'écrire le plus précisément possible, en superposant des couches, des pistes, des tracks, permet de compenser le nombre réduit de musiciens avec une écriture un peu plus sophistiquée. Un orchestre de cordes qui devrait normalement être de 45 musiciens, peut être réduit à 7 cordes avec des reprises, en les déplaçant dans l'espace. Cela fait 30 ans que nous pratiquons cela, et cela fonctionne extrêmement bien. Cela signifie que l'ingénieur du son doit être excellent pour qu'avec ces reprises, nous obtenions de belles textures. Le budget n'est pas une contrainte dans ma méthode de composition.

Barbara Letellier (productrice à Haut et Court) : Effectivement, en tant que défenseurs du cinéma d'auteur, nous sommes souvent attirés par des projets qui sont de véritables coups de cœur, qui possèdent leur propre univers. Certains d'entre eux sont très passionnés de musique, très connaisseurs. Je pense à Pavel Pavlikovski, dont nous avons produit "La femme du cinquième", un grand mélomane, très exigeant et connaisseur. Ensuite, il y a d'autres réalisateurs pour lesquels la musique n'est pas leur domaine de prédilection. Il y a des projets pour lesquels la bande sonore est véritablement importante dans les propositions artistiques, pour définir l'univers du projet. Quand je pense à Fabrice Gobert, avec qui nous avons travaillé sur "Les Revenants", pour qui la musique est primordiale. Il avait même besoin de la bande originale avant le début du tournage, et avant chaque scène, il lançait un thème des Mogwai pour instaurer une atmosphère, une ambiance. Cela lui permettait même de donner une direction à ses acteurs. La musique était vraiment présente dès le départ et était extrêmement importante. Evidemment, dans ce cas, le budget musical est plus conséquent. Ensuite, il y a d'autres projets où la musique sert plus de ponctuation, là c'est moins crucial. Après, tout dépend du choix du compositeur, du choix de la musique. En général, pour la composition de musique originale, nous oscillons entre 15 000-20 000 euros vraiment au plus bas, c'est-à-dire pour un projet dont le budget est inférieur à 3 millions. Il y a des tarifs syndicaux que nous appliquons pour les techniciens et ces derniers ont une part sur les entrées du film. Ici, je parle vraiment d'un budget global. Cependant, quand je dis 15 000, c'est vraiment le minimum et cela nous arrive rarement. Nous sommes entre 15 000 et 80 000, voire 100 000 en fonction des projets. Nous essayons également d'être cohérents artistiquement et économiquement, de trouver le bon équilibre.

Pierre-Marie Dru (superviseur musical) : Aux États-Unis, la bande sonore représente généralement entre 3 et 5% du budget du film, tandis qu'en France, nous parlons plus d'un pour cent. Dans les meilleures conditions, cela se rapproche de deux pour cent. La réalité est qu'il y a un certain nombre de productions qui tournent autour de ce pourcentage, mais il y en a beaucoup qui sont bien en dessous de cela. Avant la musique, il faut une histoire, il faut des acteurs, il faut tourner le film. Il y a une certaine logique qui fait que nous sommes toujours le dernier wagon. Cependant, je reste optimiste. Malgré la crise du disque et les transformations qu'elle a engendrées dans notre façon de travailler, je trouve qu'au cours des dernières années, l'écosystème musical a évolué de façon à permettre à des gens comme moi de défendre davantage la musique et son budget, qui est une question cruciale. Il y a un équilibre à trouver entre bien payer un compositeur - car être compositeur de musique de film est un travail difficile et exigeant - et gérer le budget de la production. Un enjeu important est leur rémunération, mais la meilleure façon de défendre cela, quand nous parlons d'argent, c'est de lutter contre le "budget fourre-tout", c'est-à-dire cette somme qui reste à la fin et avec laquelle nous devons nous débrouiller. De plus, nous travaillons de plus en plus avec des sociétés américaines où les compositeurs sont généralement mieux payés. Ils ont autour d'eux une équipe et ont donc un producteur exécutif et des personnes qui vont gérer l'ensemble du budget, la composition, l'enregistrement, avec tout ce que cela implique : la préparation, les musiciens, les copistes, les orchestrateurs. Il y a beaucoup de métiers dont il faut parler, l'écosystème est un peu malade en France. En France, les compositeurs ne sont pas payés de la même façon, c'est notre histoire. Il faut donc vraiment distinguer la rémunération du compositeur et le budget de production. Il ne faut pas confondre le fait d'aller enregistrer un orchestre symphonique et de travailler avec un musicien qui fait de l'électronique à la maison. Tout cela doit être adapté. Nous faisons un budget en fonction du type de musique et cela influence également ce que nous voulons. Autrement dit, il y a un réalisateur qui doit avoir une vision et nous devons le stimuler pour qu'il nous dise vraiment ce qu'il a en tête, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme. Et puis, le vrai enjeu, c'est la place de la musique préexistante. Je fais ce métier parce que j'ai souvent été touché par des chansons qui étaient soit originales dans les films, soit achetées. La musique préexistante peut avoir une place fantastique dans un film, mais nous sommes entrés dans une culture où il faut payer les ayants droit, les labels, les éditeurs. Le rapport entre la musique originale et la musique préexistante est souvent un peu biaisé, parce que cela va très vite, et comme nous n'avons évidemment pas des budgets incroyables en France, nous devons faire des choix. Mais compte tenu du travail que cela demande, quand je parle de 40 minutes de musique, moins de 15 000 euros, ce n'est pas sérieux. C'est tellement de travail, cela signifie qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.

Jean-Pierre Arquié (Agent) : Si on nous propose 30 000 euros mais qu'on veut du John Williams, je dirais non tout de suite. En revanche, il y a des films avec un budget de 10 000 euros, 15 000 euros, que nous avons voulu et défendu. Dans ces cas-là, le compositeur devient en quelque sorte coproducteur du film. Nous avons fait de tels choix basés sur un désir. Comme le disait Howard Shore, quand il faisait des films pour Cronenberg, il n'y avait pas d'argent, mais ils s'amusaient beaucoup. Le problème en France est qu'il arrive que même quand il n'y a pas d'argent, nous ne sommes pas libres. Les références sont toujours présentes. La problématique est que lorsqu'un budget musical est annoncé par un producteur aujourd'hui, cela inclut souvent les synchros (titres préexistants), la prime de commande du compositeur et bien sûr son studio, l'orchestre. En tant qu'agent, ma première technique est toujours de déterminer où le compositeur intervient. Parce qu'il y a une confusion des genres qui fait que maintenant, presque tous les compositeurs ont des studios super équipés avec malheureusement souvent les mêmes sons. Ils finissent par produire une maquette qui devient souvent définitive. Ce qui, il y a 10 ans, représentait facilement un budget de 150 000 à 200 000 euros.

Audrey Ismaël (compositrice) : L'arrivée des plateformes de streaming a un côté très positif. Malgré les nombreux points négatifs qu'on peut leur attribuer, elles ont aussi quelque chose de merveilleux. Elles proposent des séries assez intéressantes, ce qui élève un peu l'exigence en termes de direction artistique, surtout sur les séries et en fiction ces dernières années. Les projets sont de plus en plus confiés à des réalisateurs qui ont une vraie vision à 360 degrés. Le budget n'a pas encore complètement intégré cette information, mais je pense que cela va changer aussi. Tout cela va donner des projets de plus en plus qualitatifs. Cela change un peu la donne, même en musique de film de cinéma. On sort d'années pas très amusantes en musique de film, parce qu'un cinéma très naturaliste laisse moins de place à la musique, etc. Je pense que cette culture anglo-saxonne américaine, et aussi anglaise, s'infuse un peu dans le cinéma français.

Bryce Dessner (compositeur) : Cela dépend vraiment si c'est un film de studio ou un film indépendant. En raison de la forte demande en streaming, il y a énormément de productions et cela devient assez compétitif. Par conséquent, les budgets sont plus importants. Aux États-Unis, les budgets de musique pour un film sont souvent proportionnels au budget total du film. Les producteurs savent généralement quel compositeur ils vont engager, et ils connaissent le budget alloué. Si le compositeur est très connu, c'est une autre affaire. Par exemple, si on souhaite que Thomas Newman compose la musique d'un film, cela va coûter très cher. Je ne crois pas qu'il travaille sur des petits films actuellement. En fin de compte, cela dépend vraiment de ce qu'on est prêt à accepter.

Anne-Sophie Versnaeyen (compositrice) : Il n'y a pas de règle établie, mais une chose reste primordiale : avoir un budget en adéquation avec le projet. Sur un film à 15 ou 20 millions, on ne peut pas nous dire qu'il n'y a pas d'argent pour la musique. Par exemple, pour le film "À mon âge, je me cache encore pour fumer", étant donné qu'il s'agissait d'une production gréco-algérienne, je ne pense pas qu'ils aient reçu des aides du CNC, donc c'était un petit budget. Néanmoins, il était cohérent pour la création d'une musique de film. À mon avis, il est essentiel de calibrer son budget en fonction de la réalité du projet, mais aussi en fonction de la demande musicale. Si on souhaite une grande orchestration à la John Williams et qu'on nous dit qu'on a un budget vraiment réduit, au point qu'on ne pourra quasiment pas enregistrer, il est important de pouvoir dire dès le début "ceci est possible, cela ne l'est pas". Ce n'est pas une question de talent du compositeur, mais simplement de nécessité d'avoir un minimum en fonction de la demande. Cela dit, il faut toujours se rappeler qu'il y a des solutions. Par exemple, pour certains documentaires cinéma, j'ai pu enregistrer des solistes mélangés à des samples. Pour sa propre tranquillité d'esprit, il est important d'établir une cohérence entre le budget du projet et celui de la musique. Sinon, je trouve que le compositeur est mal considéré. Il est vrai que c'est un défi pour les productions. Idéalement, on devrait penser qu'avec le temps, les budgets augmentent, mais parfois on a l'impression du contraire. Lorsqu'une production, quel que soit le film, nous dit qu'elle a 20 000 euros pour couvrir la rémunération du compositeur, la production exécutive, et souhaite en plus du symphonique, il ne faut pas hésiter à dire non. Cela ressemble trop à une forme d'exploitation du compositeur.

Gabriel Yared : Ce qui m'importe vraiment, c'est d'avoir un budget approprié pour la production musicale. Il m'est arrivé d'accepter des sommes vraiment minimes pour mon travail de composition, d'orchestration et de production. J'ai rencontré des jeunes réalisateurs très prometteurs qui n'avaient pas de budget conséquent. J'ai accepté car leur film était intéressant. Si je me trouve face à des grands blockbusters, je n'hésite pas à demander la rémunération à laquelle j'ai droit. Mais ce n'est pas cela qui me guide, sinon je serais déjà millionnaire. Un exemple que je peux donner est celui d'un jeune réalisateur grec, Christos Massalas, qui va sûrement devenir un grand réalisateur dans un avenir proche. Son budget était de 30 000 euros, tout compris. Sa référence était ma partition pour "Tom à la ferme" de Dolan basée principalement sur des cordes rythmiques. Au lieu d'engager 40 cordes, j'en ai utilisé 20. En tant que compositeur, je trouve cela plus intéressant car tout est à nu. Il est plus difficile de travailler avec un petit ensemble qu'avec une grande formation. Lorsque le budget dicte ces conditions, mais que le film en vaut la peine, je m'adapte au budget.

Ecoutez tous les épisodes ici : https://www.podcastics.com/podcast/les-ecrans-sonores/

 


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