par Benoit Basirico
- Publié le 23-05-2024The Substance (Coralie Fargeat ) ★★★★ - BO : Raffertie (Compétition)
Raffertie (Benjamin Stefanski, compositeur et producteur britannique) fait la rencontre sur ce film d'horreur de Coralie Fargeat (qui avait fait appel à Rob pour "Revenge"), qui dénonce le diktat de la jeunesse et du physique à travers le récit fantastique d'une présentatrice d'une émission de télévision se voyant administrer une substance lui permettant de se dédoubler en un nouveau corps. Les violons jouent sur l'horreur tandis que des rythmes électro représentent la vitalité, la façade, la partition elle-même se dédoublant. Le film propose également des hommages au genre horrifique (des couloirs évoquent "Shining", la scène finale "Carrie") tandis que la musique rappelle "Suspiria", et une citation musicale est faite à "Vertigo" de Hitchcock.
Caught by the Tides (Jia Zhang-Ke ) ★★★★ - BO : Lim Giong (Compétition)
Lim Giong retrouve le cinéaste chinois Jia Zhang-Ke après "24 City" (2009), "A Touch of Sin" (2013) et "Les Éternels" (2019), avec un véritable poème sur la Chine du début des années 2000, constitué d'images tournées à différentes époques, souvent sans paroles, utilisant la puissance du visuel et de la musique. Sur cela se juxtapose un récit fictif (une histoire d'amour) et des intertitres qui représentent un dialogue, comme dans un film muet, enrichis de chansons dont les paroles commentent l'histoire. Le cinéaste livre une épopée qui traverse tous ses films et 25 ans d'histoire du pays à partir de ce montage d'ambiances hétérogènes où se rencontrent des musiques de tous les horizons, électro, rock, orchestre. Lim Giong établit le lien par un thème récurrent et des pulsations électroniques (rappelant l'aspect éthéré et aérien de "Millenium Mambo"), ajoutant une dimension onirique au film.
Le Procès du chien (Laetitia Dosch ) ★★★★ - BO : David Sztanke (Un Certain Regard)
David Sztanke signe la musique de la première réalisation de l'actrice Laetitia Dosch, qui incarne une avocate abonnée aux causes perdues, dont la prochaine affaire concerne un chien. La comédie est accompagnée d'un motif régulier de quelques notes de flûte (annonçant la chanson finale de Bertrand Belin, "Oiseau"), insufflant une fantaisie et soutenant la voix off qui nous raconte l'histoire, tandis que le récit se dote d'atours plus dramatiques (un jeune voisin frappé par son père, une femme balafrée, des questions sociétales) et des notes plus tendues, des textures, se font alors entendre. Tandis que les scènes de tribunal se passent de musique, laissant le verbe s'exprimer. On y entend aussi des classiques (Mozart, Beethoven) et de la chanson française (outre Bertrand Belin : Flavien Berger, Jean Louis Aubert, Véronique Sanson). • Interview de la réalisatrice et du compositeur.
Julie Keeps Quiet (Leonardo Van Dijl ) ★★★★ - BO : Caroline Shaw (Semaine de la Critique)
La compositrice, violoniste et chanteuse américaine, Caroline Shaw, compose la musique du premier film belge puissant de Leonardo Van Dijl qui raconte la décision de Julie, étoile montante du tennis, de garder le silence sur les harcèlements de son entraîneur pendant qu'une enquête est en cours. La partition choisit la présence vocale pour matérialiser cette voix qui se tait. Tandis que la mise en scène précise privilégie l'isolement de la jeune femme dans le cadre (avec le tennis en tant qu'analogie de sa solitude, lorsqu'elle envoie des balles sans que l'on voie le partenaire lui renvoyer), la musique crée un effet de bulle et exprime son enfermement psychologique. La harpe, en conclusion, marque une ouverture vers un renouveau possible. • Interview du réalisateur.
La Prisonnière de Bordeaux (Patricia Mazuy) ★★★★ - BO : Amine Bouhafa / Thibault Deboaisne (supervision musicale) (Quinzaine des Cinéastes)
Amine Bouhafa rencontre Patricia Mazuy (succédant à Theo Hakola, John Cale et Wyatt E dans l'œuvre de la cinéaste) pour parler de la relation entre deux femmes issues de milieux différents (Alma - Isabelle Huppert, seule dans sa grande maison bourgeoise, et Mina - Hafsia Herzi, jeune mère dans une lointaine banlieue), réunies par les visites au parloir où leurs maris sont détenus. La musique tisse un lien entre les personnages et représente cette amitié, caractérisée par un thème allant de la guitare aux saxophones, se terminant par un sifflement final. Le compositeur a également composé la chanson d'ouverture et de clôture du film, "Je Sens Tu Mens", interprétée par Sarah McCoy, sur des paroles de la cinéaste. L'audace du récit réside dans l'absence d'éclats ou d'événements majeurs (avant une dernière scène de trahison), la musique insuffle ainsi une dose de romanesque, et élargit le cadre des murs. • Interview de la réalisatrice et du compositeur.
Les Femmes au balcon (Noémie Merlant ) ★★★ - BO : Uèle Lamore (Un Certain Regard)
Uèle Lamore a signé la musique du film de Noémie Merlant, qui avait fait appel à Pierre Lefeuvre (Saycet) pour sa première réalisation, "Mi iubita, mon amour" (2022). La réalisatrice fait partie des trois femmes (avec Sanda Codreanu, Souheila Yacoub) dans un appartement à Marseille, regardant leur mystérieux voisin d'en face, avant que ce jeu de séduction ne vire au délire. La partition évolue avec le récit, passant de la comédie à l'épouvante. Elle illustre le calme estival par un saxophone sensuel au début, pour ensuite adopter des notes plus abruptes avec des percussions, en intégrant à l'instrumentation un piano, un violon et des voix. • Interview de la compositrice.
Armand (Halfdan Ullmann Tøndel ) ★★★ - BO : Ella van der Woude (Un Certain Regard)
La compositrice et chanteuse suisse-néerlandaise Ella van der Woude a composé la musique pour le premier film norvégien de Halfdan Ullmann Tøndel, qui traite de parents convoqués à l'école après un incident impliquant leur fils, notamment la mère (Renate Reinsve) d’Armand. Alors que les points de vue s’opposent sur l'événement, une certaine folie envahit les esprits et une exagération se manifeste dans les situations, le huis clos (où aucun enfant n'est visible) devient surréaliste. Pendant que des textures, des voix et des cordes accentuent la tension et révèlent des traumatismes enfouis chez les adultes, des séquences de danse ajoutent à l'étrangeté de la situation, une sur "Party Music" de Galt MacDermot & Tom Pierson, une autre, lors d'une pyramide humaine avec des mouvements de mains, illustrée par Ella van der Woude. • Interview de la compositrice
Les Reines du drame (Alexis Langlois ) ★★★★ - BO : Pierre Desprats / Rebeka Warrior (Semaine de la Critique)
Pierre Desprats a composé la musique du premier film d'Alexis Langlois, comprenant des chansons originales de Rebeka Warrior. Les deux artistes avaient déjà collaboré ensemble sur un film précédent, « À mon seul désir » (réalisé par Lucie Borleteau, 2023). Ce film musical narre, en 2055, par le youtubeur Steevyshady, le parcours rétrospectif, allant du succès à la descente aux enfers de la diva pop Mimi Madamour en 2005, en incluant son histoire d'amour avec l'icône punk Billie Kohler. Les épisodes relatés prennent la forme de chansons, celles que les protagonistes interprètent lors d'un show télévisé, tandis que le compositeur, à travers ses compositions instrumentales, évoque la romance à l'aide de cordes, de cuivres, de bois, d'une flûte soliste, jusqu'à un final rappelant « Carrie » de De Palma. • Interview du compositeur.
Emilia Perez (Jacques Audiard ) ★★ - BO : Clément Ducol, Camille Dalmais (Compétition)
Clément Ducol et Camille conçoivent les chansons (en espagnol) de la comédie musicale de Jacques Audiard, située au sein des cartels mexicains auprès de l'avocate Rita (Zoe Saldana) et Manitas (Karla Sofía Gascón), un gangster qui devient une femme. Mêlant des scènes chantées (par le casting - auquel s'ajoute Selena Gomez et Edgar Ramirez, et Camille) et dansées (sur des chorégraphies du Franco-Belge Damien Jalet, collaborateur de Madonna) à une intrigue criminelle, la partition se glisse au milieu du chaos narratif sans ligne vertébrale, au début d’une phrase ou dans le jeu des acteurs, passant du parlé au chanté sans transition. Le registre des chansons varie, allant d'un rythme pop joyeux à une bluette romantique, d'un hip-hop moderne à un jazz plus ancien, avec l'instrumentation de la formation Las Damas que Pasan (flûtes, clarinettes, saxophones, cuivres, percussions) à laquelle s'ajoutent la guitare, les claviers, le piano, le violoncelle, la harpe.
Furiosa: une saga Mad Max (George Miller ) ★★★ - BO : Tom Holkenborg (Junkie XL) (Hors Compétition)
Junkie XL (Tom Holkenborg) retrouve George Miller après "Mad Max: Fury Road" (2015) et "Trois Mille ans à t'attendre" (2022) sur ce prologue à "Mad Max Fury Road" avec une partition dont les dissonances et bourdonnements jouent le vrombissement des machines, la saturation auditive et les éléments rythmiques contribuent à une course incessante, cette lutte pour la survie dans un monde déclinant. C'est un film d'action primitif, où le mouvement et les cascades dominent, sans explications psychologiques, possédant comme unique motivation pour l'héroïne (Furiosa / Anya Taylor-Joy) une soif de vengeance. La musique participe à cet assèchement bénéfique du blockbuster, l'épurant jusqu'à une imagerie de bande dessinée.
Marcello Mio (Christophe Honoré ) ★★ - BO : Alex Beaupain (Compétition)
Alex Beaupain retrouve Christophe Honoré pour la septième fois sur cette comédie depuis "Dans Paris" (2006), et huit ans après "Les Malheurs de Sophie" (2016), centrée autour de Chiara Mastroianni qui interprète son propre rôle aux côtés de sa mère, Catherine Deneuve, de ses amis, Benjamin Biolay et Melvil Poupaud, alors qu'elle décide de s’habiller et se coiffer comme son père, Marcello, donnant lieu à des scènes à la fois fantaisistes et maladroites. Cette comédie familiale, qui traite du travestissement, du deuil et du réveil des fantômes à travers un prisme poétique, tout en rendant un hommage nostalgique au cinéma, propose des chansons, notamment deux titres de Biolay lors d'une scène de concert, deux chansons d'Alex Beaupain interprétées par Deneuve, ainsi que de la variété italienne.
Septembre sans attendre (Jonás Trueba ) ★★★★ - BO : Iman Amar, Ana Valladares, Guillermo Briales (Quinzaine des Réalisateurs)
Pour la comédie espagnole de Jonás Trueba sur un couple qui souhaite célébrer leur séparation, le trio Iman Amar, Ana Valladares, Guillermo Briales a composé la musique d'ouverture, tandis qu'un titre emprunté, "Izao" (Vincent Peirani, Vincent Segal, Ballaké Sissoko & Émile Parisien) sert de thème au film, ressurgissant par moments sous diverses formes, jouant sur la répétition d'un motif, avec une guitare aux sonorités mêlant flamenco et musique orientale, évoluant vers des cordes et des vents qui intensifient le lyrisme du film, culminant dans une scène finale chantée lors de la fête de séparation. Cette obsession musicale s'allie aux enjeux du couple, désireux de rompre pour savourer une nouvelle appréciation des moments de la vie, tout comme l'ouvrage "La Répétition" de Kierkegaard en fait écho. • Interview du réalisateur.
La Pampa (Antoine Chevrollier ) ★★ - BO : Evgueni Galperine, Sacha Galperine (Semaine de la Critique)
Evgueni & Sacha Galperine ont composé la musique du premier film d'Antoine Chevrollier, avec qui ils ont collaboré sur la série "Oussekine" (2022). Ce film raconte l'histoire de deux amis d'enfance, Willy et Jojo, qui s'entraînent sur la Pampa, un terrain de motocross, alors que l'un d'eux va révéler un secret. Plusieurs thèmes sont explorés sans qu'aucun ne devienne le principal (deux romances parallèles, une compétition sportive, la relation père-fils, le conflit ruralité/urbanité...). La musique ne cherche pas à unifier cette dispersion narrative, mais elle intervient par fulgurances, notamment lors d'une course de moto, avec des boucles électro, des cordes jouées en ostinati ou en nappes, et une présence vocale qui annonce un drame par sa dimension sacrée.
Limonov – The Ballad (Kirill Serebrennikov ) ★★ - BO : Massimo Pupillo (Compétition)
Massimo Pupillo signe la musique du biopic de Kirill Serebrennikov sur Édouard Limonov, un poète colérique et belliqueux, un agitateur politique et romancier, que le film ne cherche pas à condamner malgré ses dérives idéologiques en Russie. L'instrumentation est variée, faisant appel à la Nyckelharpa, au Violon, au Dulcimer, au Cor d'harmonie, au Violoncelle, à la Basse acoustique et électrique, au Synthétiseur, au Piano, pour refléter l'énergie paradoxale et trouble du personnage. Deux thèmes se distinguent par leur récurrence, le premier, composé par Massimo Pupillo, représente un motif restreint pour la tension, le second est l'hymne russe, un vaste mouvement orchestral semblable à une valse.
par Benoit Basirico